Dans les années 1960, le psychanalyste Harold Searles affirmait :
l’environnement non-humain est d’une grande importance pour la psyché. Il aura fallu quarante ans pour que ce constat, qui élargit considérablement le champ traditionnel de la psychologie, débouche enfin sur une forme d’étude concrète à travers le champ de l’écopsychologie.
Définition de l’écopsychologie :
« La Psychologie est le logos – l’étude, l’ordre, le sens, ou le discours – de la psyché ou de l’âme. « Eco » vient du grec oïkos qui signifie “maison, foyer”. Ainsi l’écopsychologie aborderait la psyché en relation avec sa maison terrestre, sa maison naturelle, la demeure dans laquelle elle est née, et elle explorerait : “les changements fondamentaux dans notre identité et notre mode relationnel qui se produisent quand nous vivons notre connexion à la toile de la vie comme essentielle au bien-être humain.” (Elan Shapiro) »[1]
L’écopsychologie est née en réaction à une situation historique.
Quatre tâches lui incombent.
« L’écopsychologie peut être considérée comme une entreprise historique – ce qui veut dire qu’elle a émergé en réaction à des conditions historiques spécifiques. Plus exactement, je crois qu’il y a quatre tâches générales dans lesquelles les écopsychologues sont engagés. Pour chacune d’elles, le but est de résoudre un besoin historique lui correspondant. Je les appelle : la tâche psychologique, la tâche philosophique, la tâche pratique et la tâche critique… Je propose que ce soit ces quatre tâches – ou plus précisément les interrelations entre elles – qui définissent l’écopsychologie. En d’autres mots, les quatre tâches sont entrelacées pour former une tentative totale que j’appelle : le projet de l’écopsychologie[2]. »
– La tâche psychologique
« La situation historique à partir de laquelle cette tâche a surgi est assez évidente. La société moderne est dans un état extrême, pathologique, de rupture avec la réalité du monde naturel, comme la crise écologique le montre quotidiennement. Cependant on reconnaît peu publiquement que cette crise est vraiment une crise psychologique. Ce manque de reconnaissance touche de manière cruciale le domaine de la psychologie lui-même[3]. »
La tâche psychologique consiste donc à considérer la relation avec la nature comme une relation véritable, l’environnement non-humain étant un acteur à part entière de notre vie, pas seulement physique mais aussi psychique.
– La tâche philosophique
Cette tâche conceptuelle est nécessaire pour dépasser les clivages – Homme/Nature, intérieur/extérieur – engendrés par notre société moderne.
Andy Fisher fait appel à deux auteurs, James Hillman et David Abram, qui l’un et l’autre se sont efforcés de sortir du dualisme en replaçant l’âme dans la nature et la nature dans l’âme. Le premier a repris la notion d’ « anima mundi », le second, s’appuyant sur la phénoménologie, notamment la pensée de Merleau-Ponty, a développé l’idée que « nous n’avons pas d’expérience, de perception ou de connaissance de soi en-dehors d’un monde avec lequel nous interagissons corporellement, que nous touchons et par lequel nous sommes touchés »[4].
– La tâche pratique
Il nous faut développer des pratiques qui permettent un plus grand respect de la vie.
Elles sont de deux sortes :
– les pratiques « thérapeutiques », qui aident les gens en désarroi à traverser l’époque d’errance dans laquelle nous sommes entrés,
– « les pratiques pour se remémorer », qui cherchent à favoriser la connexion de la personne avec la nature.
– La tâche critique
Aujourd’hui, il nous est demandé de sortir de la vision anthropocentrique qui dévalorise le monde non-humain.
Toutefois, Andy Fisher insiste sur l’importance de mener ensemble critique culturelle et critique sociale, la seconde n’étant pas suffisamment prise en considération au sein du mouvement écopsychologique. Il dénonce ainsi les tendances conservatrices qui affectent l’écopsychologie au détriment des implications radicales que son champ soulève.
« Je mets l’accent sur le besoin vital pour les écopsychologues d’être davantage engagés dans une analyse sociale[5]. »
A ce propos, l’écopsychologie ne prend pas assez compte les développements des écoféministes – qui insistent sur la complexité des interactions entre domination de la nature, sexisme, racisme et lutte des classes – ni les apports de l’écologie sociale. Elle ne tient pas compte non plus de la psychologie socialement radicale, un courant minoritaire qui met l’accent sur les aspects psychopathogènes de l’organisation sociétale moderne.
« Si nous cherchons, en toute bonne foi, à comprendre la psychopathologie dans la relation homme-nature, nous ne pouvons échapper à l’examen de la médiation sociale de cette relation. Si la psyché existe au-delà des frontières de la peau, alors nous avons affaire à un phénomène social autant qu’écologique, et notre éloignement de la nature est lié à notre aliénation vis-à-vis de la société humaine[6].»
Les quatre tâches interagissent entre elles. Chacune vient relancer et nourrir les autres, le tout étant au final plus que la somme des parties.
« Le meilleur moyen de définir le projet de l’écopsychologie… est de dessiner les interrelations entre ces quatre tâches historiques[7]. »
[1] Andy Fisher, Radical ecopsychology, Psychology in the service of Life, State University of New York Press, 2002, p. 4.
[2] Ibid., p. 6.
[3] Ibid., p. 7.
[4] Ibid., p.12.
[5] Ibid., p.17.
[6] Ibid., p.21.
[7] Ibid., p.XVI.