Jung est souvent présenté comme un précurseur de l’écopsychologie. Deux auteurs paraissent accréditer cette thèse :Dans son livre The Earth has a Soul, C.G. Jung on Nature, Technology and Modern Life (« La Terre a une âme, C.G. Jung et la Nature, la Technologie et la Vie Moderne », 2002), Meredith Sabini propose une anthologie des textes de Jung sur la question de la connexion (et de la disjonction) des humains avec la nature. → Pour en savoir plus, vous pouvez lire notre article qui présente son travail. Dennis L. Merritt, psychanalyste jungien a, pour sa part, écrit une série en quatre volumes, The Dairy Farmer’s Guide to the Universe (« Le guide du fermier laitier vers l’Univers », 2012) dans laquelle il propose une Ecopsychologie Jungienne. Ses deux premiers volumes s’intitulent : Jund and Ecopsychology (« Jung et l’Ecopsychologie ») et The cry of Merlin : Jung, the prototypical Ecopsychologist » (« Le cri de Merlin : Jung, prototype de l’écopsychologue »). |
Carl Gustav Jung (1875-1961) naquit en Suisse alémanique. Après avoir suivi des études de médecine puis de psychiatrie à Bâle, il fut engagé par Eugen Bleuler comme assistant à la clinique psychiatrique universitaire (Zurich) du Burghölzli, considérée à l’époque comme un établissement d’avant-garde. Avec d’autres chercheurs, il se consacra à l’analyse des associations verbales, ce qui le conduisit à élaborer une théorie sur les « complexes affectifs » et lui permit d’acquérir rapidement une renommée dans le monde de la psychiatrie. Après sa rupture avec Freud (1912), il poursuivit sa route seul et élabora sa propre méthode psychanalytique sous le nom de « psychologie analytique».
Pour Jung, les forces qui agissent au sein du psychisme d’un individu ne sont pas seulement celles d’une sexualité refoulée et celles de son histoire propre mais elles peuvent être aussi communes à l’ensemble de l’humanité. Le psychanalyste développa l’idée de l’existence d’une « âme collective », appelée par lui « inconscient collectif », qu’il étaya non seulement par ses travaux cliniques mais aussi par ses voyages en pays étrangers, conscient qu’il était de l’importance de l’ouverture à d’autres modes de culture.
A partir de son expérience de rencontre avec les peuples premiers, Jung mit en évidence des analogies entre les contenus de l’inconscient de l’Européen moderne et la « mentalité primitive » telle que venait de la décrire Lévy-Brühl. Son étude des différentes religions (notamment orientales), des mythes, contes et traditions (principalement, l’alchimie) le confirma dans sa théorie. Il poursuivit ainsi ses investigations sur la nature polymorphe de l’inconscient et en dégagea les principales images archétypales (les figures du père, de la mère, de l’enfant éternel, de l’ombre, de l’animus et de l’anima…).
Les écrits de Jung présentent une dimension écologique car ils reviennent régulièrement sur le lien profond de la personne avec la nature. Jung avait d’ailleurs lui-même un rapport très concret avec la terre. Il avait fait construire une tour à Bollingen, au bord du lac. Il y passait ses jours de congés en vivant le plus simplement possible : sans téléphone, sans électricité, ni chauffage central. Il fallait puiser l’eau au puits et cuire sa nourriture sur un fourneau. Jung prenait plaisir à couper son bois et à travailler la pierre.
« La psyché n’est pas quelque chose de distinct de la nature vivante, écrivait-il. Elle est l’aspect psychique de la nature vivante. Elle est même l’aspect psychique de la matière. » 1
Proche de la vision taoïste, il avait une nette perception de la continuité de l’être humain avec l’univers.
« Par moments, je suis comme répandu dans le paysage et dans les choses et je vis moi-même dans chaque arbre, dans le clapotis des vagues, dans les nuages, dans les animaux qui vont et viennent et dans les objets. »
Ayant conscience de la dérive rationaliste du monde moderne qui a conduit les êtres humains à se vivre comme séparés de la nature, Jung écrit :
« A mesure que la connaissance scientifique progressait, le monde s’est déshumanisé. L’homme se sent isolé dans le cosmos, car il n’est plus engagé dans la nature et a perdu sa participation affective inconsciente avec ses phénomènes. Et les phénomènes naturels ont lentement perdu leurs implications symboliques. Le tonnerre n’est plus la voix irritée d’un dieu, ni l’éclair son projectile vengeur. La rivière n’abrite plus d’esprits, l’arbre n’est plus le principe de vie d’un homme, et les cavernes ne sont plus habitées par des démons. Les pierres, les plantes, les animaux ne parlent plus à l’homme, et l’homme ne s’adresse plus à eux en croyant qu’ils peuvent l’entendre. Son contact avec la nature a été rompu, et avec lui a disparu l’énergie affective profonde qu’engendraient ces relations symboliques…
Notre vie présente est dominée par la déesse Raison qui est notre illusion la plus grande et la plus tragique.
C’est grâce à elle que nous avons « vaincu la nature »…» 2
Mais cette nature vaincue est tout autant la nature extérieure que celle à l’intérieur de l’être humain :
« Ce que nous appelons « la conscience de l’homme civilisé » n’a cessé de se séparer des instincts fondamentaux. Mais ces instincts n’ont pas disparu pour autant… L’homme moderne masque à ses propres yeux cette scission de son être à l’aide d’un système de « compartiments ». Certains aspects de sa vie extérieure et de son comportement sont conservés, dans des tiroirs distincts, et ne sont jamais confrontés les uns aux autres.»3
Pour Jung, l’humanité tout entière serait appelée à développer un nouveau mythe qui permette de prendre en compte à la fois l’inconscient et la nature, et à développer une cohésion affective plus grande entre les êtres. Mais cette évolution ne pourra se faire qu’à la condition d’un changement réel des personnes, dans le sens d’un plus grand accomplissement qu’il appelle « individuation » :
« L’individuation est synonyme d’un accomplissement meilleur et plus complet des tâches collectives d’un être, une prise en considération suffisante de ses particularités permettant d’attendre de lui qu’il soit dans l’édifice social une pierre mieux appropriée et mieux insérée que si ces mêmes particularités demeuraient négligées ou opprimées. »
Ainsi la méthode jungienne consiste davantage en une initiation, en une école de sagesse. Parmi les divergences qu’elle présente avec l’approche freudienne, l’interprétation du symbole est centrale. Celui-ci n’est plus seulement vu comme un moyen de déguiser des tendances inavouables, mais une puissance transformatrice agissante sur celui qui accepte de le rencontrer.
« Par symbole, je n’entends nullement une allégorie ou un simple signe ; j’entends plutôt une image propre à désigner le mieux possible la nature obscurément soupçonnée de l’esprit. »
Par ailleurs, Jung développa le concept de « synchronicité ». A partir du constat de l’existence de coïncidences singulières qui mettent en lien un événement extérieur et des contenus surgis de l’inconscient (rêve, idée spontanée…), il s’attaquait à la souveraineté du principe de causalité. A ses yeux, ce serait « l’unité indissociable du monde et de l’être » qui apparaîtrait dans ces occurrences, si étonnantes pour la personne qui les vit parce que défiant le sens commun, mais tellement porteuses de sens pour elle.
1. Richard Evans, Entretiens avec C. G. Jung, 2023, Petite Bibliothèque Payot.
2. L’homme et ses symboles, Robert Laffont, 1964, p. 95 et 101
3.Id., p. 83