La systemique

Paradigme
Tout ce qui vit est interdépendance, auto et co-création, complexité, incertitude.

La théorie des systèmes a émergé des travaux de la cybernétique, science des systèmes auto-régulés. Le fer à repasser doté d’un thermostat en est un exemple. S’il n’avait pas de thermostat, il ne pourrait réguler lui-même son alimentation électrique mais devrait être régulé par la personne qui repasse.

La cybernétique

La cybernétique, s’intéressant aux interactions des éléments qui composent un système, a développé les concepts d’émetteur et de récepteur ainsi que celui de feed-back ou information en retour. Elle s’est notoirement développée pendant la seconde guerre mondiale afin d’améliorer l’efficacité de l’artillerie antiaérienne. Le radar (émetteur) envoyait une onde (information) que l’avion (récepteur) renvoyait en écho (feed-back). Ainsi la DCA pouvait calculer la hauteur et la vitesse de l’avion, et de ce fait anticiper son emplacement pour l’atteindre en vol.

Le terme « cybernétique » fut créé en 1948 par le mathématicien Norbert Wiener à partir du mot grec « kubernetes » qui signifie pilote et qui a donné naissance au mot « gouverneur ».
La cybernétique est une approche phénoménologique en ce sens qu’elle analyse les phénomènes pour en saisir l’autonomie et l’originalité. Elle en modélise ensuite le fonctionnement.

Au départ, la cybernétique étudie comment les systèmes maintiennent leur équilibre (homéostasie) malgré les changements de leur environnement. Dans un second temps, grâce aux travaux du psychiatre-ingénieur anglais William Ross Ashby (qui parlera d’auto-organisation) et des biologistes-philosophes chiliens Humberto Maturana et Francisco Varela (qui utiliseront le terme d’autopoïèse), la recherche donnera naissance à « la deuxième cybernétique ». Cette dernière étudie les processus qui permettent l’évolution des systèmes et le développement de nouvelles structures ou organisations. Elle s’intéresse donc aux mécanismes qui, à partir d’une situation de déséquilibre, permettent l’émergence d’un nouvel équilibre. En ce sens, elle rejoint les travaux du prix Nobel de chimie belge Ilya Prigogine.

« Prigogine a montré que, contrairement à ce que l’on croyait, dans certaines conditions, en s’éloignant de son point d’équilibre, le système ne va pas vers sa mort ou son éclatement mais vers la création d’un nouvel ordre, d’un nouvel état d’équilibre. Les situations extrêmes recèlent la possibilité de créer une nouvelle structure. On voit ici la possibilité de recréer du vivant, de l’organiser là où il n’y avait plus que du chaos. » (Wikipédia)

« La première cybernétique » s’intéresse aux mécanismes créés par la rétro-action : l’effet rétro-agit sur la cause qui l’a créé. (Si on vous marche sur le pied, votre réaction est de ce type !)

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« La seconde cybernétique » centre davantage son attention sur la récursivité. Dans la récursivité, les effets produits sont nécessaires à celui qui les génère, c’est la relation « maître-élève ». L’élève produit le maître qui le produit à son tour, l’entrepreneur crée l’entreprise qui lui donne son statut social d’entrepreneur, le responsable crée les subordonnés qui le créent, etc.
La récursivité n’est possible que si les éléments du système ont une marge de liberté et que leur réaction n’est plus de l’ordre du réflexe. Traitant individuellement l’information qui leur arrive, ils développent des comportements voire des principes d’action en fonction de leur stratégie propre et de l’ensemble dont ils font partie.
La récursivité permet l’évolution des systèmes linéaires (enchaînement de causes-effets-causes-etc.) vers « les systèmes complexes ». Cette nouvelle propriété fait que ces systèmes ont les capacités de s’organiser eux-mêmes, de s’auto-organiser. Autrement dit, ils se développent tout en évoluant.

Ludwig-Bertalanffy

  Ludwig von Bertalanfy, dans La théorie générale des systèmes (1968), ouvrage fondateur de la systémique, précise que : « La théorie des systèmes est fréquemment confondue avec la cybernétique et la théorie de la commande. Ceci est incorrect. La cybernétique et la théorie de la commande des mécanismes technologiques et naturels se fondent sur des concepts d’information et de rétroaction ; elles ne sont qu’une partie de la théorie générales des systèmes ; les systèmes cybernétiques sont un cas particulier, important bien sûr, des systèmes auto-régulés.»
En fait, au-delà de ces querelles d’école entre la cybernétique et la systémique issue des travaux de Ludwig von Bertalanffy, il est admis que l’on considère ces deux courants comme faisant partie d’un ensemble d’idées relativement unifié (wikipedia).

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Influence de la théorie des systèmes sur les sciences humaines

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L’anthropologue Gregory Bateson (1904-1980) utilisa l’étude des mécanismes systémiques dans le cadre de la communication humaine. En 1952, il réunit une équipe au sein du Veterans Administration Hospital de Palo Alto dans le but d’étudier le paradoxe de la communication chez les schizophrènes. Les travaux de ce groupe aboutirent à la publication en 1956 de Vers une théorie de la schizophrénie, ouvrage dans lequel le concept de « double contrainte » est développé.
Le patient n’est plus alors considéré comme un individu isolé sur lequel un diagnostic psychiatrique est posé. Sa maladie est comprise comme un mode d’adaptation à la structure pathologique des relations familiales. Ainsi, l’on passe d’une explication individuelle, linéaire et donc diachronique à une explication systémique, circulaire et synchronique. Cette théorie, qui provoqua un bouleversement dans les conceptions psychiatriques traditionnelles, s’est trouvée en convergence avec le courant de l’antipsychiatrie selon lequel le malade mental n’est que le symptôme de la maladie du système dont il fait partie : l’individu n’est en fait que le « patient identifié ».

En 1959, à l’initiative de Donald Jackson (psychiatre) et Virginia Satir (psychothérapeute), le Mental Research Institute (MRI) est créé pour explorer les implications thérapeutiques des travaux du groupe Bateson. Parmi ses chercheurs, on y trouve le sociologue et psychanalyste d’origine autrichienne Paul Watzlawick, l’anthropologue John Weakland, les psychiatres Milton Erickson et Richard Fisch. Le courant, désormais devenu célèbre sous le nom de l’Ecole de Palo Alto, sera à l’origine de la création de la thérapie familiale et de la thérapie brève.

En 1972, Gregory Bateson publie Vers une écologie de l’esprit T. 1 et 2 (Cf. l’article de Jean-Jacques Wittezaele : « L’écologie de l’esprit selon Gregory Bateson » (https://www.multitudes.net/l-ecologie-de-l-esprit-selon2353/), dans lequel il montre que nos pensées sont influencées par l’environnement culturel dans lequel nous vivons et qu’en retour elles influencent notre description de l’environnement. En 1979, il fait paraître un autre ouvrage : La nature et la pensée, qui rend compte de l’interaction entre la conscience humaine et le milieu.

« Dans l’histoire naturelle de l’être humain, l’ontologie et l’épistémologie sont inséparables ; ses croyances (d’habitude subconscientes), relatives au type de monde où il vit, déterminent sa façon de percevoir ce monde et d’y agir, ce qui déterminera en retour ses croyances, à propos de ce monde. L’homme se trouve ainsi pris dans un réseau de prémisses épistémologiques et ontologiques qui, sans rapport à une vérité ou une fausseté ultimes, se présentent à ses yeux – du moins en partie – se validant d’elles-mêmes. »

La sociologie, fait également appel à la théorie des systèmes pour comprendre les phénomènes sociaux.
Le sociologue Michel Crozier, après avoir été invité en 1959 par la Fondation Ford à Palo Alto, publia sa Thèse d’État, Le Phénomène Bureaucratique, en 1964. Pour lui, le système bureaucratique français ne peut pas correspondre au modèle d’organisation rationnelle décrit par le sociologue allemand Max Weber dans Économie et société, pour deux raisons :
– d’une part, il existe en France un modèle de bureaucratie propre à la culture française,
– d’autre part, les stratégies des acteurs sont imprégnées de cette culture et créent des dysfonctionnements organisationnels typiquement hexagonaux.
Autrement dit, on ne peut pas plaquer un système d’organisation sans tenir compte du contexte culturel de la société dans laquelle on se trouve, ce que démontrera à son tour Philippe D’Iribarne dans La logique de l’honneur.
En 1977, Michel Crozier publie avec Erhard Friedberg L’acteur et le système : les contraintes de l’action collective pour approfondir l’interdépendance entre les stratégies des acteurs et celles des responsables de l’organisation.

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Plus tard, Edgar Morin, dans son ouvrage La Méthode qui a pour but de revoir Le discours de la méthode de Descartes, formulera les paradigmes des systèmes complexes.
1. Dans tout système complexe, les éléments qui le composent peuvent être selon les situations et notamment le stress créé par l’environnement : complémentaires, concurrents, antagonistes.
2. Il y a interdépendance entre l’ordre et le désordre créé par le système, son organisation et sa structure. Toute organisation crée une forme qui engendre ordre et désordre en interne et dans son environnement.

Pour comprendre l’intérêt de l’approche systémique et sa dimension révolutionnaire, il faut se rappeler que, depuis René Descartes (et même depuis Aristote), la recherche scientifique se fonde sur le postulat de la causalité : les phénomènes du monde peuvent être expliqués par un enchaînement de causalités. Si un phénomène apparaît d’abord comme trop complexe, il suffit de le décomposer en plusieurs enchaînements de causalités. Cette démarche est ce que l’on peut appeler une démarche analytique.
La « pensée systémique », quant à elle, appréhende un phénomène dans son ensemble, en axant son regard sur les connexions, les relations et le contexte.
Dans son ouvrage La Méthode, Edgar Morin s’élève contre la pensée cartésienne qui simplifie, sépare, disjoint les éléments, comme si l’on pouvait étudier ce qui fait un être vivant en le disséquant. « Toute ma vie, je n’ai jamais pu me résigner au savoir parcellarisé, je n’ai jamais pu isoler un objet d’étude de son contexte, de ses antécédents, de son devenir. J’ai toujours aspiré à une pensée multidimensionnelle ».
Ainsi, au paradigme de « disjonction/réduction/unidimensionnalisation », il proposera de substituer un paradigme de « distinction/conjonction » qui permet de distinguer sans disjoindre, d’associer sans identifier ou réduire. (Introduction à la pensée complexe)

De ce courant scientifique, l’écologie et l’écopsychologie reprendront les concepts de :
l’émergence : apparition de nouvelles capacités qui n’existaient dans aucun des sous-systèmes avant leurs interactions,
l’interdépendance : qui a conduit Morin à insister sur la nécessité de penser de façon dialogique, car ce qui nous apparait comme des contraires sont en fait complémentaires : la vie et la mort, le repos et l’activité, etc.
la régulation : Dans l’hypothèse Gaïa, James Lovelock voit dans la terre un vaste mécanisme de régulation. Alfred Wallace, quant à lui, décrit la sélection naturelle comme une auto-régulation maintenant la stabilité de l’éco-système. A ce propos Gregory Bateson aura cette réflexion : « Wallace dit là probablement la chose la plus puissante qui fut dite au XIXè siècle. »
la récursivité
l’équifinalité : capacité des processus vivants à atteindre le même état final à partir de situations de départ différentes. (Par exemple, les fourmis d’une même fourmilière ne suivent pas le même chemin. Leur comportement devient intelligible au regard de la charge à transporter et des contraintes topographiques.)

Il est notable que le physicien américain Fritjof Capra écrive dans La toile de la Vie (1996)

« J’utiliserai dans ce livre les adjectifs “écologique“ et “systémique“ comme des synonymes, ce dernier revêtant simplement une connotation plus technique ou scientifique. »

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