Les courants éducatifs

Paradigme
L’immersion dans la nature incite à une relation plus authentique à soi-même, aux autres et au monde.

Dans son article « Ecopsychology : Where does it fit in psychology in 2009 ? », John Scull signale l’éducation populaire comme faisant partie des courants qui ont influencé l’écopsychologie. Il parle aussi de l’éducation environnementale pour être proche de l’écopsychologie.

L’éducation populaire

L’éducation populaire est un vaste courant de pensée, animé par des personnes altruistes et militantes. Elle cherche à promouvoir une éducation qui favorise l’évolution du système social grâce à la participation des classe populaires et cela en dehors des structures d’enseignement traditionnelles puisque ces dernières participent à la reproduction du modèle dominant (Pierre Bourdieu et Jean Claude Passeron1).
Elle cherche à valoriser la culture dans les milieux populaires et à élever leur niveau d’instruction et de conscience. Elle s’adresse à la partie de la population soumise aux autorités qui ont le pouvoir, politique ou économique, et donc, de façon générale, plutôt aux ouvriers et à leur famille qu’aux paysans (du moins dans ses débuts).
Cette éducation recherche toutes les occasions de développer les capacités de chaque individu à vivre ensemble, à confronter ses idées, à partager une vie de groupe, à s’exprimer en public, à écouter, etc. Selon les termes de Christian Maurel, sociologue, auteur de Éducation populaire et puissance d’agir, Les processus culturels de l’émancipation (2010), elle est :

« l’ensemble des pratiques éducatives et culturelles qui œuvrent à la transformation sociale et politique, travaillent à l’émancipation des individus et du peuple, et augmentent leur puissance démocratique d’agir ».

En France, on situe le début de l’éducation populaire au rapport Condorcet (1792). Par la suite seront créés, en 1866 la Ligue de l’enseignement par Jean Macé et, en 1899, un mouvement d’obédience catholique, « le Sillon », par Marc Sangnier. Ce dernier, ouvre en France la première Auberge de jeunesse, baptisée l’Épi d’Or, en 1929. Par la suite, dans l’élan du Front Populaire instaurant les congés payés et la semaine de 40 heures, la gauche relance l’éducation populaire. En 1937 les CEMEA (Centres d’entrainement aux méthodes d’éducation active) voient le jour et, en 1938, une association est mise en place, le Centre laïque des auberges de jeunesse présidé par Léo Lagrange. Celui-ci mène son action politique dans trois secteurs principaux : celui des vacances et du plein air, celui des sports et celui de la culture populaire. A la libération, Benigno Cacérès participe, notamment avec Joffre Dumazedier, à la création de Peuple et Culture.
L’existence des congés payés a entraîné, en plus de la création d’organismes d’éducation populaire et de colonies de vacances par les entreprises, l’adoption de mesures favorisant le tourisme : réductions annuelles sur les chemins de fer, création d’un ministère du Tourisme, promotion des bains de mer dans un but thérapeutique…

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 Parallèlement, en Allemagne, un mouvement originaire des classes intellectuelles berlinoises s’exprime, jusqu’en 1914, au sein du Wandervogel (« oiseau migrateur » ou « oiseau vagabond »). C’est un mouvement beaucoup plus spontané que ceux qui existent en France. Ses membres, influencés par le romantisme et la philosophie allemande, recherchent une nature authentique, loin des villes industrielles. Ils fonctionnent en groupe autogérés et pratiquent la vie la plus « naturelle » possible, y compris le naturisme. En effet, pour la Fédération Naturiste Internationale, le naturisme est « une manière de vivre en harmonie avec la nature par la pratique de la nudité en commun, ayant pour conséquence de favoriser le respect de soi-même, le respect des autres et de l’environnement. »

 En suisse, le pasteur Herman Walter Bion crée en 1876 le premier séjour d’enfants à la montagne qu’il appelle « colonie de vacances ». Ce pasteur, nommé dans un quartier ouvrier de Zurich, décide d’emmener les enfants d’ouvriers passer quelques jours dans le village d’où leurs parents sont originaires. Les soixante-huit enfants sont encadrés par dix adultes. L’intention du pasteur Bion est de faire vivre à ces enfants des conditions « simples et réduites au strict nécessaire ». Les garçons dorment sur du foin ou de la paille dans des granges, les fillettes chez des paysans. Les enfants se voient confier des tâches ménagères, mais, surtout, ils profitent du grand air (promenades, excursions, cueillettes de fruits et de fleurs). A leur retour, le pasteur constate combien le grand air et l’activité physique ont été bénéfiques à leur santé. Dans les années qui suivent, de tels séjours se multiplient en Suisse mais également en France.

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Le phénomène d’urbanisation rapide a entraîné l’apparition d’une classe ouvrière urbaine qui vit dans des conditions sanitaires parfois difficiles. En Grande Bretagne, Baden Powell, ému par les conditions de la jeunesse britannique des quartiers pauvres, désœuvrée, souvent en mauvaise santé et délinquante, décide de mettre en pratique, dans une optique de paix, les principes qu’il a observés pendant la guerre. Au début des années 1900, il fonde le Scoutisme, mouvement qui repose sur l’apprentissage de la solidarité, l’entraide et le respect. Son but est d’aider le jeune individu à former son caractère, à construire sa personnalité et à se développer physiquement, mentalement et spirituellement afin qu’il devienne un citoyen actif dans la cité. Pour ce faire, le scoutisme s’appuie notamment sur les activités dans la nature.

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Le mouvement prend vite de l’importance et se développe dans de nombreux pays du monde. La BSA (Boy Scouts of America) est fondée le 8 février 1910 aux États-Unis. En 1938, elle dispose d’un immense domaine dans les Montagnes Rocheuses sur lequel s’établit le Philmont Scout Ranch, terrain de camp et centre de formation le plus important de la fédération.

Aujourd’hui, le mouvement de l’éducation populaire a une véritable réalité internationale qui prend des configurations différentes selon les pays. Depuis deux décennies, il a connu une véritable relance à travers la diffusion de la « pédagogie de l’opprimé » élaborée par le pédagogue brésilien Paulo Freire, surtout en Amérique latine mais aussi en Amérique du Nord, voire en Asie.

La première auberge de jeunesse s’appelait « l’Épi d’or », le premier mouvement de jeunesse allemand se nommait « l’oiseau migrateur ». Ainsi, le projet de valoriser la culture et de développer les capacités intellectuelles et humaines du « peuple », a conduit à chercher à déconditionner l’individu de son environnement habituel en le mettant en contact avec la nature par le biais des colonies de vacances, des auberges de jeunesse, des camps de jeunes, etc. Grâce à ce changement d’environnement, ses relations aux autres et à lui-même pouvaient évoluer.
Nombre des personnes qui ont bénéficié de ces possibilités doivent leur métier actuel (guides, accompagnateurs de montagne, gardiens de parc nationaux, etc.) ou leur engagement pour la nature à des séjours qui ont permis ce contact direct avec elle.

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L’éducation relative à l’environnement

L’éducation relative à l’environnement intéresse un large panel d’acteurs de la société civile, du monde politique ou professionnel : protecteurs de la nature, éducateurs, professionnels de la santé, organismes de solidarité, élus, entreprises ainsi que différents cercles de citoyens (associations de quartier, jardins associatifs…).

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Le philosophe Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) est souvent cité comme l’un des précurseurs de l’éducation relative à l’environnement. Dans son fameux ouvrage Emile, ou de l’éducation, il met en relief l’importance d’une éducation se fondant sur la relation à l’environnement. Mais pour le chercheur en sciences de l’éducation Yves Girault (2012), c’est surtout au XIXe siècle que le courant environnementaliste français prend vraiment naissance. Il n’est pas issu des scientifiques ou des naturalistes mais du monde de la peinture. Ce sont en effet les peintres de l’école de Barbizon, qui, au-delà de leurs activités picturales, prennent la défense des paysages forestiers menacés par l’industrialisation. Ce mouvement, issu de la pensée romantique, s’inscrit dans une réaction contre les fondements d’une idéologie moderne qui ne voit dans la nature qu’une ressource à exploiter (Spretnak, 1997). Il ouvre la voie, dans le champ de l’éducation relative à l’environnement, à ce qui sera traditionnellement appelée une éducation au milieu naturel, éducation qui vise à faire prendre conscience de notre relation à la nature et à la cultiver.

Outre Atlantique, le naturaliste John Muir (1838-1914), souhaitant œuvrer pour un contact direct avec la nature, crée des écoles d’interprétation destinées à comprendre les dynamiques naturelles et paysagères qui nous environnent. Les forêts inexplorées, et la wilderness en général, doivent, selon lui, permettre de recontacter sa nature intérieure.

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Parallèlement à ce courant de pensée dit préservationniste qui milite pour une véritable protection de la nature, le forestier et homme politique Gifford Pinchot (1865-1946) avance une approche conservationniste utilitariste : l’environnement y est conçu comme une ressource à gérer pour le bien-être de l’humain. A la vision écocentrique de Muir, il oppose une approche résolument anthropocentrique.

Ces deux courants de pensée marquent encore aujourd’hui les débats parfois virulents entre tenants d’une éducation relative à l’environnement (ERE) fondée sur une conception de l’environnement-nature, et tenants d’une éducation au développement durable, portée par une conception de l’environnement-ressource.

En 1978, la conférence de Tbillisi qui institutionnalise l’éducation relative à l’environnement ne tranche pas mais en donne une définition schizophrénogène, entre préservation et instrumentalisation de l’environnement :

« L’éducation relative à l’environnement devrait (…) contribuer à susciter des attitudes qui encouragent les individus à s’imposer une discipline, pour ne pas porter atteinte à la qualité de l’environnement et pour participer activement à son amélioration. Elle devrait aussi contribuer à développer chez les membres de chaque collectivité un savoir et un esprit critique leur permettant de participer en connaissance de cause à la préservation ou l’amélioration de l’environnement. Ces objectifs exigent d’importants changements portant sur divers aspects du processus éducatif, qui en retirera d’ailleurs une pertinence et une efficacité sociale accrue, une meilleure articulation avec la vie, une plus grande ouverture aux problèmes concrets des collectivités. Une telle éducation implique une approche interdisciplinaire et une orientation vers la recherche de solution des problèmes. »

L’environnement-ressource devient environnement-problème. L’éducation relative à l’environnement vise à développer des habiletés à la résolution de problèmes environnementaux et s’inscrit dans le courant de la modernité et de la croyance dans le progrès, associée à l’explosion du savoir scientifique et aux promesses de la technologie.

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Dans les années 80, l’ERE (Éducation Relative à l’Environnement) préfère choisir la voie de la  postmodernité. Elle refuse la seule référence au progrès, au savoir scientifique et à la raison. Elle vise à une pensée critique des réalités sociales, environnementales et éducationnelles. Cette pensée critique ne s’appuie pas seulement sur des savoirs scientifiques mais propose de les faire dialoguer avec les savoirs locaux et expérientiels, les « oubliés » de la période moderniste techno-scientiste. Elle valorise une pédagogie du lieu, afin de relier la personne à l’ici et au maintenant de l’environnement qui l’entoure. Comme l’écrit la chercheuse en éducation à l’environnement Lucie Sauvé (1998), la représentation de l’environnement-milieu de vie, associée à celle de l’environnement-projet communautaire, a permis d’élargir et de donner un sens à celles de l’environnement-ressource, de l’environnement-problème et de l’environnement-nature. En d’autres termes, l’approche strictement conservationniste de la nature maintenait l’homme dans une posture de domination à l’égard de la nature, à charge pour lui de la gérer en bon père de famille. L’approche proposée par l’ERE, sans nier l’approche conservationniste, propose de recréer un lien ontique entre l’homme et la nature.

Au regard de cette évolution, les chercheurs Ian Robottom et Paul Hart (1993) proposent de positionner les courants de pensée qui ont irrigués l’éducation relative à l’environnement selon trois paradigmes.

Le paradigme dit positiviste a pour finalité de développer un comportement chez l’individu selon des modèles et des critères préétablis en réponse à une demande sociale. Les activités relèveraient plutôt de l’apport de connaissances. Le postulat éducatif de ce paradigme est de considérer que l’apport de connaissances scientifiques suffit à favoriser des comportements responsables à l’égard de la nature.

Le paradigme dit interprétatif/relativiste vise à développer l’empathie de la personne à l’égard du non-humain au moyen d’une éducation dans l’environnement. Il s’agit de développer une appréciation du lieu comme valeur personnelle, de le comprendre comme partie intrinsèque de soi-même. C’est la relation à… et l’expérience dans… l’environnement qui permettrait à l’apprenant de développer des connaissances personnelles. A travers l’interaction, se développeraient un engagement affectif et une compréhension des situations étudiées. Cette approche s’inspirerait d’une idéologie biocentrique, qui, pour le chercheur O’Riordan (1985), affirme que « la relation entre l’homme et la nature doit être spirituelle et que les êtres humains ne peuvent avoir une qualité de vie satisfaisante que s’ils s’identifient avec la nature » (tr. libre, Fien, 1993, p. 28).

– Le paradigme dit socio-critique vise à développer un esprit critique chez l’apprenant avec pour finalité d’inciter à changer les réalités environnementales, sociales et éducationnelles. Les approches éducatives qui s’y réfèrent proposent des actions pour l’environnement. Sont visés le développement d’un engagement personnel et collectif et l’émergence d’un agir pertinent. Cet engagement suppose  un esprit critique à l’égard de la science et des dynamiques sociales. Les problématiques environnementales sont complexes et il est nécessaire de faire prendre conscience à l’élève de ses propres valeurs, affects, intérêts, et de lui permettre ainsi de faire des choix en toute conscience.

Les frontières qui divisent ces différents paradigmes sont loin d’être étanches. Les acteurs d’une éducation à l’environnement, et notamment ceux qui s’affichent de l’écopsychologie, n’hésitent pas à naviguer entre ces différents courants de pensée.

Avec une définition qui transverse ces trois paradigmes, Lucie Sauvé (2002) considère que l’éducation relative à l’environnement  « n’est pas une forme d’éducation à…. Il s’agit d’une dimension essentielle de l’éducation fondamentale. » L’objet de l’ERE est la troisième des sphères d’interactions à la base du développement des personnes au sein de leur milieu de vie (voir fig. n°1).

 Figure n°1 : Les  trois sphères interreliées du développement de l’individu selon Sauvé (1998)

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 –         La première sphère, la sphère personnelle, est celle de la construction de l’identité, où la personne se confronte à elle-même ; c’est là où se développent l’autonomie et la responsabilité envers soi-même, où la personne apprend à entrer en relation avec les autres sphères. Mais cette sphère ne se construit elle-même qu’au travers des autres sphères.

–         La seconde sphère, sphère de l’altérité, en étroite relation avec la première, concerne l’interaction avec l’autre, qu’il s’agisse du groupe social ou d’une personne. C’est dans cette sphère que se développent un sentiment d’appartenance et un sens de la responsabilité à l’égard des autres.

–         La troisième sphère fait appel à l’éducation relative à l’environnement. Dans cette sphère, on se réfère à l’Oïkos, maison de vie que l’on partage avec les autres humains et les autres vivants. C’est une autre forme d’altérité qui est sollicitée, au-delà de l’altérité humaine. La responsabilité s’élargit à une éthique écocentrique. « On apprend à devenir des gardiens, utilisateurs et constructeurs responsables d’Oïkos, notre maison de vie partagée. Ce n’est pas de “gestion de l’environnement“ dont il est question ici, mais plutôt de la “gestion“ de nos propres rapports individuels et collectifs à l’environnement. » (Sauvé, 1998, p.63).

Si l’ERE se situe dans la troisième sphère, elle intègre les sphères de la relation à l’autre et la relation à soi. Elle postule que la sphère de la relation à l’environnement est étroitement interreliée aux deux autres.

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Références

Girault, Y. (2012). « Développement durable et gouvernance mondiale. : entre utopies et réalités ». Communication au colloque « éduquer au développement durable : nouveaux défis, nouvelles pratiques dans les territoires ? » à Florac, 9, 10, 11 juillet 2012.

O’Riordan, T. (1985). Research Policy and Review. Future Directions for Environmental Policy. Environment and Planning, 17, 1431-1446.

Robottom, I. et Hart, P. (1993). Research in Environmental Education. Engaging the Debate.Victoria: Deakin University.Room, G. (1986). Cross-National

Sauvé, L. (1998). L’éducation relative à l’environnement – Entre modernité et postmodernité : Les propositions du développement durable et de l’avenir viable. Dans Jarnet, A., Jickling, B., Sauvé, L., Wals, A. et Clarkin, P. (dir.). A colloquium on the future of environmental education in a postmodern world ? Proceedings of an on-line colloquium held on October 19th 1998, 57-70.

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1. Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La reproduction : Éléments d’une théorie du système d’enseignement, Les Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1970.

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