Plusieurs étapes se sont succédé dans l’histoire de l’émergence du champ écopsychologique aux Etats-Unis :
1. Les années 1960 : Robert Greenway et la psychoécologie
Dans les années 1960 – soit quelques vingt ans avant la naissance proprement dite de l’écopsychologie -, sous l’initiative d’un chercheur nommé Robert Greenway, émergea un nouveau champ de recherche dont l’ambition était de faire le pont entre l’écologie et la psychologie. Il prit le nom de « psychoécologie ».
Robert Greenway
Alors qu’il était étudiant à l’université de Brandeis, Robert Greenway faisait des recherches pour Abraham Maslow dans le contexte du développement de la psychologie humaniste. En 1963, suite aux échanges qu’il eut avec ses collègues à propos de la problématique posée par la séparation entre l’écologie et la psychologie, il rédigea un texte présentant pour la première fois un champ unifié, celui de la « psychoécologie ».
Plus tard, Greenway conduisit des expériences d’immersion dans des espaces sauvages (« wilderness ») et, tandis qu’il exerçait la fonction de recteur du Franconia College dans les montagnes du New Hampshire, il poursuivit son travail de recherche sur les relations entre la psychologie humaniste et la psychoécologie. Il enseigna cette dernière à la Sonoma State University, au Nord de la Californie, pendant 22 ans, et développa un programme de thérapie basé sur l’immersion dans la nature.
Il organisa régulièrement des séjours dans des espaces sauvages afin de permettre aux participants de se désencombrer de leur conditionnement de citadins et d’expérimenter une vie en contact direct avec la terre qui stimule leurs cinq sens. Il constata que cette expérience déclenchait le sentiment d’être davantage en connexion avec les autres et avec la nature.
Il fallut attendre plus de vingt ans, nous dit Mark Schroll1, « avant que ses recherches ne retiennent l’attention au niveau national, grâce aux efforts d’un de ses étudiants, Elan Shapiro ». Ce dernier, psychologue gestaltiste, fut à l’origine en 1989 de la création du groupe de discussion sur la psychoécologie à Berkeley, groupe dont la réputation arriva jusqu’aux oreilles de Theodore Roszak. Celui-ci participa aux réunions et décida d’écrire un essai sur « l’écopsychologie », une façon à lui, poursuit Mark Schroll, de « jouer avec les mots et avec le terme de « psychoécologie » inventé par Greenway ».
Bien qu’il ait été à l’origine du concept de « psychoécologie », nous disposons de peu d’écrits de Robert Greenway pour la bonne raison que la plupart d’entre eux n’ont pas été publiés, exception faite des articles :
– « Ecopsychologie : a personal history »
http://www.ecopsychology.org/journal/gatherings/personal.htm
– « The multiple approaches to ecopsychology : one view »
http://www.ecopsychology.org/journal/gatherings2/greenway.htm
– « What is EcoPsychology ? » http://www.ecopsychology.org/journal/gatherings/what.htm
– « The Wilderness Effect and Ecopsychology » dans l’ouvrage collectif Ecopsychology: Restoring the Earth, Healing the Mind.
Voir aussi : « Robert Greenway : The Ecopsychology Interview », Ecopsychology 1, mars 2009.
http://selfsustain.com/wp-content/uploads/2012/06/INT_Greenway_MARCH_2009_ECOPSYCHOLOGY.pdf
2. De 1970 à 1990 :
Paul Shepard (1925-1996)
Paul Shepard, un biologiste et environnementaliste américain, a enseigné l’Ecologie Humaine aux Californian Pitzer College et Claremont Graduate School. Il est souvent cité en tant que pionnier de l’écopsychologie. Theodore Roszak le présente comme « le premier écopsychologue, le premier penseur du mouvement environnemental à appliquer les catégories psychologiques à notre façon de traiter la planète. »
En effet, en 1973, Paul Shepard déclarait :
« Si la crise environnementale signifie un état de conscience mutilé au point de causer des dommages à notre habitat, alors peut-être est-ce par-là que nous devrions commencer. »
Dans son ouvrage Nature and Madness, publié en 1982, il soulève à nouveau la question du rapport entre la construction de notre psyché et nos comportements de plus en plus destructeurs envers la nature. Avec insistance, il interroge : « Pourquoi les hommes persistent-ils à détruire leur habitat ? » et, avec quelque provocation, il critique sévèrement notre civilisation moderne sédentaire.
De son point de vue, nos tendances écocides proviendraient d’une « mutilation de l’ontogenèse » dont les racines remonteraient à la rupture provoquée par le Néolithique – qui vit la découverte de l’agriculture et de la domestication et le début de la vie sédentaire dans des villages -, suivi ultérieurement par l’entrée dans la civilisation judéo-chrétienne avec son dieu créateur unique qui confie la terre aux hommes. Progressivement, au fil des siècles et des millénaires, un sentiment de séparation vis-à-vis de la nature s’est instauré pour ne plus être remis en question. En réalité, l’homme ayant passé 99% de son temps en tant que chasseur-cueilleur dépendrait encore étroitement du monde non-humain pour son développement psychique. Notre civilisation faisant subir une véritable amputation à ce niveau, notamment dans la petite enfance et à l’adolescence, il en résulterait un manque crucial de maturité.
« Aujourd’hui, nous pouvons être les détenteurs d’une structure identitaire la plus fragile au monde, le produit d’un bricolage prolongé de l’ontogenèse – et, au regard des critères du paléolithique, des adultes restés enfants. »
Paul Shepard propose de retrouver les connexions à la vie non-humaine, qui étaient celles des chasseurs-cueilleurs et que nous avons perdues depuis la sortie du Pléistocène2.
« Il y a une personne secrète, intacte en chacun de nous… Nous n’avons pas perdu, et ne pouvons perdre, l’impulsion véritable. Elle attend seulement une expression authentique. » 3
« Nous devons commencer par nous rappeler au-delà de l’histoire. » 4
Paul Shepard a également écrit :
– The Subversive Science: Essays Toward an Ecology of Man,1969
– Environment : Essays on the Planet as Home, 1971
– The Tender Carnivore and the Sacred Game, 1973
– Thinking Animals : Animals and the Development of Human Intelligence, 1978
– Nature and madness, 1982
– The Others, How Animals Made Us Human, 1996
– The Only World We’ve Got, 1996, une sorte de résumé de son oeuvre. Cet ouvrage a été traduit en français sous l’intitulé : Nous n’avons qu’une seule terre5.
– Coming Home to the Pleistocene parut en 1998, deux ans après sa disparition. Il a été récemment traduit en français sous le titre Retour aux sources du Pléistocène (Editions Dehors, 2013).
→ Pour en savoir plus, voir notre analyse critique de Nous n’avons qu’une seule terre
Edward O. Wilson
Selon le biologiste évolutionniste Edward Wilson, les humains ont une affinité innée pour la nature : ils sont attirés par elle et ils éprouvent un sentiment de connexion avec elle. Edward Wilson émet l’hypothèse que cette affinité à laquelle il donne le nom de « biophilie » (terme créé par le psychanalyste Erick Fromm) découle directement de notre passé ancestral, un passé durant lequel les humains ont évolué dans un paysage entièrement naturel dont ils ne se sentaient pas séparés.
Beaucoup d’écopsychologues trouvent dans le concept de biophilie une approche utile pour défendre l’idée que les modes de vie déconnectés de la nature non-humaine sont psychologiquement insatisfaisants et même nuisibles.
Edward Wilson a publié :
Biophilia, en 1984 (traduit en français en 2012, sous le titre de Biophilie, aux Editions José Corti)
et, avec Stephen R. Kellert, The Biophilia Hypothesis, en 1993.
Parmi les autres publications importantes de cette période, on note deux ouvrages qui influencèrent aussi grandement le courant de l’écopsychologie :
– De John Seed, Joanna Macy, Patricia Fleming, Arne Naess… Thinking Like a Mountain : Towards a Council of All Beings, en1988.
– De l’écoféministe Carolyn Merchant, The Death of Nature, en1980.
3. L’ébullition du début des années 1990 :
Au cours des années 1990, de nombreux auteurs publient sur la relation de l’homme avec l’environnement naturel et certains parmi eux se joignent au courant de l’écopsychologie naissant.
Theodore Roszak (1933-2011)
Bien que n’étant pas psychologue, Theodore Roszak est devenu rapidement le promoteur du nouveau mouvement de l’écopsychologie, en raison de ses différentes publications et de ses conférences sur le sujet.
Professeur d’histoire à l’université de Californie, sociologue et écrivain, il rendit populaire en 1969 la notion de « contre-culture » dans son ouvrage The making of Counter Culture. Cet écrit fait état du désenchantement des personnes devant les positions gouvernementales, notamment celles concernant la guerre au Vietnam, et la dégradation croissante de l’environnement. Par la suite, Roszak ne cessa jamais de théoriser sur le sujet.
«Nous devons contrer la culture dominante pour en installer une autre.» déclarait-il.
Il est l’auteur également de plusieurs essais consacrés à l’information, la science et la culture :
Person/Planet : The Creative Disintegration of Industrial Society, en 1979.
Where The Wasteland Ends: Politics and Transcendence in Postindustrial Society, 1972.
The Cult of Information,
The Gendered Atom,
et de plusieurs romans dont un best-seller international, La Conspiration des Ténèbres.
C’est en 1992 qu’il avança pour la première fois le terme d’écopsychologie, dans son ouvrage The Voice of the Earth : An exploration of ecopsychology, un essai qui, selon Whit Hibbard, « fut le premier à nommer, définir et articuler l’écopsychologie ». Lui-même présentait cet écrit ainsi :
« Ceci est un essai sur l’écopsychologie. Son but est de construire un pont au-dessus du gouffre historique de notre culture, celui qui existe déjà depuis longtemps entre le domaine psychologique et le domaine écologique, afin de voir les besoins de la planète et ceux de la personne comme un seul continuum. En recherchant une santé mentale plus grande, elle démarre là où beaucoup diraient que la santé mentale n’a rien à y voir : au seuil du monde non humain… Le cri de la Terre pour échapper au poids mortifère du système industriel que nous avons créé est notre propre cri pour une qualité de vie qui libère chacun de nous afin qu’il devienne la personne entière que sa naissance promettait. »
Dans le même ouvrage, Roszak traite des liens entre la psychiatrie, la psychologie et la conscience environnementale, et développe l’idée d’un « inconscient écologique » :
« Le cœur de l’esprit est l’inconscient écologique. Pour l’écopsychologie, la répression de l’inconscient écologique est la racine la plus profonde de la folie collective et partagée de la société industrielle ; ouvrir l’accès à l’inconscient écologique est la voie vers la santé mentale. »
Il y présente aussi une liste de huit principes sur lesquels reposerait l’écopsychologie, une sorte de guide auquel, deux ans plus tard, les membres de la Table Ronde d’Ecopsychologie ajouteront cinq autres principes.
→ Pour en savoir plus, voir la présentation de l’ouvrage The Voice of the Earth
Allen Kanner et Mary Gomes
Psychologue à l’Université de Berkeley, Allen Kanner est connu pour ses études sur la société de consommation. Il s’est notamment élevé contre la publicité qui cible les enfants en vue de faire augmenter la consommation et, en 2000, il a co-fondé le groupe national de défense des droits « Campagne pour une enfance sans publicité ».
Mary Gomes est professeur de psychologie à la Sonoma State University. Outre son intérêt pour l’écopsychologie, elle fait des recherches sur le chamanisme et les pratiques de certaines cultures, basées sur la relation à la Terre.
Allen Kanner et Mary Gomes sont connus tous les deux aux Etats-Unis comme des leaders de l’écopsychologie. En 1995, Ils ont co-publié avec Théodore Roszak Ecopsychology, Restoring the Earth, Healing the Mind, livre dans lequel ils ont rédigé deux articles.
Dans « The All-consuming Self », Allen Kanner et Mary Gomes se demandent pourquoi l’idée de réduire la consommation provoque chez les gens autant d’anxiété et crée une telle levée de boucliers. Ils font l’hypothèse que notre société industrielle, en créant un sentiment d’isolement, favorise la construction d’un « Soi dévorateur », un « faux-self » qui vient recouvrir le sentiment de détresse et de vide sous-jacent grâce à l’illusion d’un plein d’objets à posséder. La publicité cultive cet éprouvé en créant des images d’états désirables : réussite matérielle, sexuelle, professionnelle, bien-être physique et mental, bonheur familial, etc. Mais la distorsion est grave car elle coupe les personnes de leurs vrais désirs.
Dans « The Rape of the Well Maidens : Feminist Psychology and the Environmental Crisis », Allen Kanner et Mary Gomes développent les thèses de l’écoféminisme. Ils font remonter la tendance à la séparation et à l’individualisme chez l’être humain – surtout le garçon – aux premiers instants de la vie, tout en faisant le constat que les femmes imitent aujourd’hui les hommes en développant une même attitude « d’autonomie héroïque ». Dans la société occidentale urbaine et industrielle, la capacité à se montrer indépendant et détaché donne de la puissance et assure d’obtenir respect et statut. Ainsi la dépendance est déniée car elle signifie « être en défaut » et ce déni s’exerce non seulement vis-à-vis des autres mais aussi de la Terre.
« L’hyperindividualisme est un mode de relation qui dénie et souvent détruit l’environnement, aussi bien celui des amis, de la famille que celui de l’écosystème… Dans la plupart des théories psychologiques, le modèle du lien, du soi-en-relation, s’adresse aux relations entre les personnes. Mais il pourrait aisément s’étendre au-delà du monde humain pour inclure la perspective écopsychologique. »
James Hillman
James Hillman (1926-2011) s’est formé à la psychanalyse auprès de Jung et fut le premier directeur de l’Institut Carl G. Jung à Zurich. Revenu aux Etats-Unis, il écrivit une vingtaine d’ouvrages en développant une pensée originale, voire subversive.
James Hillman critique la psychologie officielle car, selon lui, elle est traversée, comme tant d’autres disciplines, par le dualisme occidental qui disjoint intérieur et extérieur, subjectif et objectif.
« La réalité psychique est conçue pour être ni publique, ni objective, ni physique, tandis que la réalité externe – les objets et les conditions matérielles – est conçue comme totalement dénuée d’âme. L’âme est sans monde et le monde sans l’âme. » (Anima mundi : The return of the Soul to the world)
Le moyen de dépasser ce clivage est de tenir ensemble les deux pôles de la réalité : le pôle externe et le pôle interne. Hillman relativise ainsi le « moi » qui n’est qu’une partie de la psyché, le sujet de la conscience, et se concentre essentiellement sur la psyché dans sa globalité, c’est à dire sur les modèles les plus profonds du fonctionnement psychique : « les imaginations fondamentales qui animent toute la vie ».
Dans l’article « A psyche the size of the Earth », dans Ecopsychology, Restoring the Earth, Healing the Mind, il déconstruit les limites dans lesquelles la psychologie est selon lui enfermée :
« Il y a une seule question essentielle pour toute la psychologie. Où est le “moi“ ? Où commence le “moi“. Où s’arrête le “moi“ ? Où commence “l’autre“ ?…
Depuis la “découverte de l’inconscient“, toute théorie élaborée sur la personnalité doit admettre que ce que je déclare comme étant “moi“ a une grande partie de ses racines au-delà de mon bureau et de ma conscience. Ces racines inconscientes peuvent se trouver dans des territoires éloignés de ce que j’appelle “mien“…
Si la psychologie est l’étude du sujet, et si les limites des ce sujet ne peuvent être établies, alors la psychologie rejoint bon gré mal gré l’écologie. »
Hillman a élaboré une « psychologie archétypale » influencée par la psychologie analytique de Jung, mais qui veut aller plus loin dans l’écoute du monde souterrain de l’âme, « the underworld ».
En effet, l’âme ne se limite pas à la personne. Les éléments autour de nous ne sont pas inertes. Ils ont leur intériorité, leur profondeur, leur mystère, et ils stimulent notre imaginaire quand nous sommes à leur contact. Le monde entier est doté d’une âme, c’est l’anima mundi.
Par ailleurs, chacun est appelé vers sa destinée, inscrite en lui dès le départ. Dans Le code caché de votre destin, Hillman développe la « théorie de l’akène » (ou « théorie du gland ») : nos vies sont formées à partir d’une image initiale, comme le destin du chêne est contenu dans un gland minuscule.
Parmi les ouvrages de James Hillman traduits en français, nous notons :
La beauté de Psyché. L’âme et ses symboles, Le Jour Editeur, 1993
Le mythe de la psychanalyse, Imago, 1997
Le code caché de votre destin. Prendre en main son existence en élevant sa conscience de soi, Robert Laffont, 1999
Malgré un siècle de psychothérapie le monde va de plus en plus mal, ouvrage co-écrit avec Michael Ventura, Ulmus Company LTD, 1998
La fiction qui soigne, Manuels Payot, 2005.
Ralph Metzner
Ralph Metzner, psychologue, psychothérapeute, professeur au California Institute of Integral Studies où il enseigne l’écopsychologie, est à l’origine de la fondation « Green Earth », une organisation écologiste éducative, créée dans le but de « soutenir les changements d’attitude, de valeurs, de perceptions et de visions du monde, qui vont dans le sens d’un équilibre écologique et d’un respect de l’intégrité de toutes les formes de vie sur terre. » (Mark Schroll)
Impliqué dès ses débuts dans l’écopsychologie, Ralph Metzner a publié de nombreux écrits sur le sujet. Parmi eux, on retient :
– The well of remembrance, 1994
– Green psychology, 1999
et deux articles :
– « The Split between Spirit and Nature in European Consciousness », The Trumpeter, vol. 10, n°1, 1993
http://trumpeter.athabascau.ca/index.php/trumpet/article/view/407/658
– et « The Psychopathology of the Human-Nature Relationship », dans Ecopsychology : Restoring the Earth, Healing the Mind.
Dans ce dernier article, Ralph Metzner fait remarquer que la coupure qui s’est produite en Occident entre l’homme et son environnement n’a pas fait l’objet d’un diagnostic de la part de l’ensemble des psychologues. Reprenant les différentes métaphores psychiatriques ou psychanalytiques utilisées par quelques-uns de ces collègues et lui-même, il montre comment elles pourraient éclairer les problèmes actuels des êtres humains avec la nature : -« la mutilation ontogénique » de Paul Shepard, responsable de l’immaturité des adultes, – la répression de l’inconscient écologique, selon le point de vue de Theodore Roszak, – la fixation à l’âge de l’adolescence dans le modèle ericksonien, – la tendance autistique de l’espèce humaine à l’égard de l’environnement naturel, dénoncée par Thomas Berry, – les attitudes d’addiction (addiction à la consommation ou à la technique) relevées par Dolores Lachapelle et Chellis Glendinning, – « l’amnésie collective » avancée par Paul Devereux et la thèse de « l’amnésie traumatique » d’Immanuel Velikovsky, – et surtout l’état de « dissociation » ou de « clivage », avec la nouvelle théorie de Ernest Hilgard :
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Chellis Glendinning
Psychologue clinicienne, diplômée de l’Université de Californie, et activiste politique, Chellis Glendinning fait partie des pionniers du champ de l’écopsychologie.
Elle est connue surtout pour son ouvrage My name is Chellis and I’m in Recovery from Western Civilization (1994) dans lequel elle présente notre séparation d’avec la nature comme « le traumatisme originel » qui se conjugue avec d’autres traumatismes d’origines différentes (abus sexuels, génocides…).
Elle a également écrit When Technology Wounds : The Human Consequences of Progress (1990), un ouvrage qui se fonde sur une étude psychologique des malades rescapés des méfaits de la technique.
Dans son article « Technology, Trauma and the Wild » (Ecopsychology : Restoring the Earth, Healing the Mind), Chellis Glendinning montre comment notre dépendance aux produits manufacturés est du ressort de l’addiction et comment la technologie influence défavorablement notre société.
« Partout dans la société technologique, les symptômes de l’addiction sont évidents. Ils sont manifestes dans le comportement de ceux qui promeuvent la technologie pour maintenir leur contrôle sur la société ou pour augmenter leurs comptes en banque et leurs ego. Ils sont aussi visibles chez nous tous car notre expérience, notre savoir et notre sens de la réalité sont marqués par notre vie dans ce monde technologique. Les symptômes de l’addiction sont le déni, la mauvaise foi, la tendance au contrôle, les troubles de la pensée, la grandiosité, et la coupure avec son ressenti. »
– Le déni : Les alcooliques disent qu’il n’y a pas lieu de s’alarmer. « De la même manière, en ce qui concerne la technologie et les destructions environnementales, l’idée que “les affaires sont les affaires“ envahit nos vies. » – La mauvaise foi : Les alcooliques se cachent pour boire, ils n’hésitent pas à mentir. « Dans l’addiction à la technologie, la mauvaise foi est tout à fait manifeste dans les sociétés commerciales et les agences gouvernementales dont l’intérêt est de fournir des technologies qui bafouent les règles. » – La tendance à contrôler : « Les personnes qui sont sous addiction ont besoin de contrôler leur monde pour garder l’accès à la source de leur obsession. » – Les troubles de la pensée : « Dans la société technologique, la pensée est en grande partie dysfonctionnelle. Nombre de personnes accepte de “se shooter“ à la technologie pour répondre aux problèmes sociaux, psychologiques et médicaux provoqués par les abus de consommation technologique précédents. » – La grandiosité : Les alcooliques sont pris dans le fantasme d’un pouvoir démesuré. « L’illusion de grandeur qui alimente le développement technologique est moins apparent et plus assumé. Cette grandiosité pousse à penser que la société technologique est supérieure aux autres. Elle laisse à croire que l’évolution est linéaire et toujours progressive, et que les différentes sociétés pourraient être jugées à l’aune de leur accomplissement technologique. » – La coupure vis-à-vis de son ressenti : Les alcooliques sont coupés de leur vrai ressenti. « De même, survivre dans un système technologique demande que nous soyons “cool“ et que nous fonctionnions comme des machines.» |
Warwick Fox
Dans cette liste des initiateurs de l’écopsychologie, Warwick Fox apparaît comme étant à part. D’abord en raison de son origine, australienne. Mais aussi à cause de son parcours de philosophe chercheur indépendant, dans la mouvance de la Deep Ecology ou Ecologie Profonde.
De 1990 à 1998, il a travaillé au Centre d’études environnementales de l’Université de Tasmanie, puis ensuite au Centre d’éthique professionnelle à l’Université du Central Lancashire. Il a également été éditeur-conseil de The Trumpeter, Journal of ecosophy.
Dans sa remémoration des origines de l’écopsychologie, Mark Schroll lui donne pourtant une place importante. La publication en 1990 de l’essai de Warwick Fox « Transpersonal ecology : psychologizing ecophilosophy », suivie de celle de son ouvrage Toward a transpersonal ecology : developing new foundations for environnementalism lui paraissent des étapes importantes dans l’émergence de l’écopsychologie. A ce propos, il cite Ralph Metzner :
« Vous chercherez en vain dans les textes et les journaux des principales écoles en psychologie – clinique, behavioriste, physiologique, humaniste ou transpersonnelle – une théorie ou une recherche concernant les faits les plus fondamentaux de l’existence humaine, à savoir le fait d’être en relation avec le monde naturel dont nous faisons partie. Grâce à son livre, Warwick Fox commence maintenant à remédier à cette flagrante, scandaleuse et embarrassante omission. Il mérite notre reconnaissance pour avoir élevé à un haut niveau de discussion ces questions difficiles, subtiles et complexes et pour avoir grandement contribué, et pour la première fois, à l’intégration de la psychologie et de la philosophie dans un cadre écocentrique, et avec une vision du monde qui peut guérir la biosphère et sauver nos âmes. »
Selon l’Ecologie Profonde, la réalisation de soi passe par une identification plus large que celle que l’on entend habituellement qui s’inscrit dans les seules normes sociales. Elle passe par une ouverture sur le monde. Pour cette raison, Warwick Fox pense que le terme « deep ecology » n’est pas approprié. Il fait même un lien entre cette dénomination et l’attrait que la psychanalyse (la psychologie des profondeurs) a exercé sur Arne Naess alors qu’il résidait à Vienne en 1934.6
Pour sa part, il préfère le terme d’« écologie transpersonnelle » :
« … une approche impliquant la réalisation du sens de soi, qui va au-delà (qui est ‘trans’) de son ego, de son soi biographique, du sens personnel de soi ; le terme le plus clair, le plus précis et le plus informatif qui puisse correspondre à cette conception de la deep ecology est, à mon point de vue, l’écologie transpersonnelle. »
Dans sa démarche, Warwick Fox tente d’aller plus loin que la « deep ecology », en proposant la notion d’une « Ethique générale », une théorie qui engloberait les différentes préoccupations éthiques dans un ensemble unifié, et qui prendrait autant en compte l’éthique de l’environnement, naturel et humain, que l’éthique interpersonnelle.
Son site : http://www.warwickfox.com/index.html
Joanna Macy
Joanna Macy Rogers, née le 2 mai 1929, est une écophilosophe, ancienne élève de Jacques Ellul (professeur d’histoire du droit, sociologue français et théologien protestant). Elle a été une militante engagée dans l’écologie, notamment contre le nucléaire. Elle a suivi la voie bouddhiste et étudié la théorie générale des systèmes. Depuis une quarantaine d’années, elle donne des conférences et anime des séminaires au niveau international.
Actuellement elle vit à Berkeley, en Californie, près de ses enfants et petits-enfants. Elle est professeur auxilliaire dans trois écoles supérieures (San Francisco) : l’école Starr Roi pour le ministère, l’Université de Spiritualité de la Création et l’Institut d’Etudes Intégrales de Claifornie.
Joanna Macy est l’auteur de plusieurs ouvrages :
– Despair and Personal Power in the Nuclear Age (1983)
– World as Lover, World as Self (1991)
– Mutual causality in Buddhism and General Systems Theory : The Dharma of Naturel Systems (1991)
– Thinking like a mountain : towards a council of All Beings, co-écrit avec John Seed (1993).
Joanna Macy pose le problème du temps. Pour elle, le sens de notre continuité biologique s’est rompu depuis la bombe de Hiroshima. Inconsciemment, nous restons marqués par cette tragédie, comme si le temps s’était arrêté et que, depuis lors, nous ne nous occupions plus de ce qui va advenir pour les générations futures. Notre sentiment d’impuissance nous conduit au nihilisme, à la dépression et à la fuite en avant (consommation, drogues…).
Dans son article « Working through Environmental Despair » (dans Ecopsychology : Restoring the Earth, Healing the Mind), elle fait l’inventaire de toutes les peurs qui nous empêchent de faire une place plus grande à notre ressenti face aux problèmes écologiques : peur d’éprouver de la souffrance, de ressentir de la culpabilité ou de l’impuissance, peur de gêner les autres, d’apparaître stupide, morbide ou trop émotionnel à leurs yeux, peur de ne pas être assez patriotique…
« Nous sommes pris entre un sens de l’imminence de l’apocalypse d’un côté et la peur de le reconnaître de l’autre…. Aussi longtemps que nous ne trouverons pas la manière d’appréhender et d’intégrer cette immense et insaisissable angoisse, nous la réprimerons. Mais cette répression absorbe l’énergie qui nous est nécessaire pour agir et penser clairement. »
En Europe, Joanna Macy est connue grâce aux sessions « The Work that reconnects » (« Le travail qui relie ») qui ont pour but d’aider les personnes à reconnecter leurs sentiments, à exprimer leur désespoir devant les destructions de la planète et, ce faisant, à gagner en pouvoir d’agir. Ces séminaires ont donné lieu en 1998 à un ouvrage Coming Back to Life : Practices to Reconnect Our Lives, Our World, traduit en français sous le titre Ecopsychologie pratique et rituels pour la Terre, Retrouver un lien vivant avec la nature.
Les sessions de « Travail qui relie » ont pour but :
– de se reconnecter à la Terre en découvrant son identité écologique
– de faire face à l’apathie et l’impuissance pour prendre une part active à la guérison du monde
– de retrouver notre pouvoir au service de la vie, en recontactant notre courage, notre aptitude à la solidarité, nos forces vives
– d’opérer un changement de cap par un engagement volontariste, par l’implication dans des actions de résistance.
2. Le Pléistocène est l’époque géochronologique qui s’étend du début du Quaternaire, il y a environ 1,6 millions d’années, à environ il y a 10.000 ans avant j–c.
3. http://www.primitivism.com/nature-madness.htm
4. Nous n’avons qu’une seule Terre, Editions Corti, 2013.
6. « Intellectual Origins of the “Depth“ Theme in the Philosophy of Arne Naess », The Trumpeter, n°9, 1992 http://www.warwickfox.com/sample_online_papers.html