Jean-Jacques Rousseau et Henry David Thoreau

« Quand le soir approchait, je descendais des cimes de l’île et j’allais volontiers m’asseoir au bord du lac, sur la grève, dans quelque asile caché ; là le bruit des vagues et l’agitation de l’eau, fixant mes sens et chassant de mon âme toute autre agitation, la plongeaient dans une rêverie délicieuse où la nuit me surprenait souvent sans que je m’en fusse aperçu. Le flux et le reflux de cette eau, son bruit continu mais renflé par intervalles, frappant sans relâche mon oreille et mes yeux, suppléaient aux mouvements internes que la rêverie éteignait en moi, et suffisaient pour me faire sentir avec plaisir mon existence, sans prendre la peine de penser. De temps à autre naissait quelque faible et courte réflexion sur l’instabilité des choses de ce monde dont la surface des eaux m’offrait l’image : mais bientôt ces impressions légères s’effaçaient dans l’uniformité du mouvement continu qui me berçait, et qui sans aucun concours actif de mon âme ne laissait pas de m’attacher au point qu’appelé par l’heure et par le signal convenu, je ne pouvais m’arracher de là sans efforts. »

Jean-Jacques Rousseau, Les rêveries du promeneur solitaire

 

 

« Il n’était pas de matin qui ne fût une invitation joyeuse à égaler ma vie en simplicité, et je peux dire en innocence, à la Nature même. J’ai été un aussi sincère adorateur de l’Aurore que les Grecs. Je me levais de bonne heure et me baignais dans l’étang ; c’était un exercice religieux, et l’une des meilleures choses que je fisse. On prétend que sur la baignoire du roi Tching-Thang des caractères étaient gravés à cette intention : « Renouvelle-toi complètement chaque jour ; et encore, et encore, et encore à jamais. » Voilà que je comprends. Le matin ramène les âges héroïques. Le léger bourdonnement du moustique en train d’accomplir son invisible et inconcevable tour dans mon appartement à la pointe de l’aube, lorsque j’étais assis porte et fenêtre ouvertes, me causait tout autant d’émotion que l’eût pu faire nulle trompette qui jamais chanta la renommée. C’était le requiem d’Homère ; lui-même une Illiade et Odyssée dans l’air, chantant son ire à lui et ses courses errantes. Il y avait là quelque chose de cosmique ; un avis constant jusqu’à plus ample informé, de l’éternelle vigueur et fertilité du monde. »

Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois

 

 

Besoin de nature

« A l’âge de treize ans, j’ai rencontré la forêt de Rambouillet et les scouts. La forêt, les cerfs et les biches, les arbres, les pistages de bêtes, les nuits sous la tente, les marches de nuit pour aller au brame. Et cette simple nécessité d’aller en forêt, de charger le sac à dos sur le porte-bagages du vélo, de grimper cette foutue côte de la route de Paris et de pédaler vers les Basses-Mazures ou les Plainvaux. Cet effort et cette activité physique, longue, lente et régulière, ne me sont jamais apparus comme une violence, un déplaisir, encore moins comme “une thérapie nécessaire à mon image de moi”. Tout était dans cette magnifique intensité d’être à rencontrer la nature. La suite n’est que continuité. »

 Louis Espinassous, Besoin de nature, santé physique et psychique

 

 

 

 

le grand cafe des breves de comptoir – my name is aram

 

« Moi les singes ça me gêne, c’est vraiment trop proche de l’homme, ça se voit qu’on a été des singes quand le singe te regarde, moi ça ne me plaît pas d’avoir été un singe, les bébés singes, on a été ça, dans les arbres, moi ça ne me plaît pas, je dis pas que je les aime pas, je dis pas que je suis supérieur au singe, mais moi, un singe, ça me plaît pas, ils mangent des fruits, on mange des fruits, ça s’arrête là, je serais même le premier à leur donner des fruits, mais c’est gênant, le singe quand il épluche une banane, on dirait nous, on épluche pareil et on la mange pareil, les mêmes yeux que les singes quand on mange une banane, et moi ça me gêne, de ressembler à un singe quand je mange une banane ou que le singe ressemble à un homme quand il mange sa banane, trop proche de l’homme, trop proche, un éléphant qui mange une banane, franchement, je m’en fous pas mal, mais le singe, trop proche, c’est trop nous, trop nous… »

Jean-Marie Gourio, Le grand café des brèves de comptoir

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Mon oncle regarda le crapaud droit dans les yeux. Le crapaud regarda mon oncle droit dans les yeux. Pendant une bonne demi-minute, ils se regardèrent droit dans les yeux ; puis le crapaud détourna la tête et baissa les yeux à terre. Mon oncle poussa un soupir de soulagement. »

William Saroyan, My name is Aram