Livre « Besoin de nature »

Recension de Marie Romanens

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Besoin de nature, santé physique et psychique

Auteur : Louis Espinassous
Broché – 240 pages (parution : 04/2014) – Prix éditeur : 18,00 €
Editions Hesse – ISBN : 978-2-35706-028-9

 

Accompagnateur de montagne, éducateur nature, écrivain, Louis Espinassous qui habite dans la vallée d’Ossau dans les Pyrénées vient de publier un nouvel ouvrage, intitulé Besoin de nature, santé physique et psychique.

S’appuyant sur une expérience d’accompagnement d’une quarantaine d’années en classes découvertes, séjours de vacances, stages de formation… pour enfants, adolescents et adultes, publics handicapés ou difficiles, l’auteur développe l’idée que la nature est nécessaire à la santé et au bien-être des humains. L’intérêt de cet écrit réside dans un double ancrage : un ancrage dans les connaissances acquises directement sur le terrain et un ancrage dans les données scientifiques récentes.

Tel un tisserand qui entrelace les fils de sa trame, Louis Espinasse nous fait goûter tour à tour à deux écritures. La première, poétique, raconte les effets bénéfiques du contact avec l’écorce rugueuse d’un hêtre, des rayons tièdes du soleil au petit matin, d’une marche vers des roches enneigées, d’une rencontre avec une biche et son petit au détour d’un sentier, avec des isards sur la crête ou des milans royaux… La seconde, plus prosaïque, aligne les chiffres afin de démontrer ce que nous soupçonnons de plus en plus fortement : le manque d’accès à la nature « créerait un déséquilibre et un dysfonctionnement de notre personne physique et psychique » (p.35).

L’écriture poétique se décline à plusieurs voix.

Celle empruntée à d’autres auteurs :

« Comme la nuit étoilée serait moins belle à nos yeux si nous ne nous sentions pas en même temps liés à la terre ; s’il n’y avait pas une sorte de contradiction troublante entre la liberté vague du regard et du rêve, et cette liaison à la terre, dont le cœur ne peut dire si elle est dépendance ou amitié. » Jean Jaurès1

 Celle empruntée aux élèves et stagiaires :

« Quel plaisir de prendre des bains de pieds !
Avec les euproctes2 et les grenouilles qui nous caressent
Tout en déplaçant avec paresse
Ou avec rapidité et délicatesse
Nous regardons avec émerveillement
Ces petits êtres ravissants
Quel plaisir de prendre des bains de pieds !
Cette eau fraîche nous transperce comme des petits couteaux
Mais le pied n’est pas un bateau
Et coule au fond de l’eau
Ce qui nous permet de nous délecter
Alors ça c’est le pied !!! »  Raphaël (dix ans)

Celle de Louis Espinassous lui-même :

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« Plein ciel tout soudain, face aux montagnes toutes encapelées de neiges étincelantes. Je marche. Le froid sec râpe les narines, les bottes de cuir souple, fourrées de tiède, craquent sur les ornières sonnantes de glace. Le ciel, les étoiles, et les montagnes d’huile blanche luisant sous la lune. Les mains au doux des poches chaleureuses, les cuisses, les muscles qui vont leur train puissant… Et soudain cette clarification, cette pensée qui accouche au rythme des pas après tant d’années à le vivre sans le formuler : la beauté est pleinement corporelle et multisensorielle. » (p.199)

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Quant à l’écriture plus prosaïque, elle aligne avec rigueur les chiffres, ceux des médecins, pédiatres et psychiatres, des psychologues, des chercheurs en neurosciences et sciences cognitives, des éthologues… Elle laisse place aussi à de nombreux témoignages.
Au final, les faits sont là :
Les enfants atteints d’hyperactivité gagnent en concentration après une marche de vingt minutes dans la nature.
Lorsque l’on compare des joggers dans la nature et des personnes qui pratiquent en salle de sport, on s’aperçoit que le taux de récupération physiologique et psychologique est meilleur chez les premiers.
Les détenus d’une prison dans le Michigan consultent 24 fois moins les médecins, quand ils ont une fenêtre qui donne sur la campagne.

A partir du constat des problèmes de santé posés par le manque de contact avec la nature, ces maladies du « hors sol » qui fleurissent à notre époque – enfants hyperactifs, obésité, pathologies du stress…-, et du constat de l’amélioration apportée à l’organisme par une plus grande proximité avec le sauvage (aussi réduit soit-il), Louis Espinassous se risque à une analyse.

Pour ce faire, il part de la théorie de Boris Cyrulnik qui met en évidence la nécessité de l’existence de deux enveloppes sensorielles pour le développement de l’enfant et l’équilibre de l’adulte : l’enveloppe sensorielle biologique, celle du contact charnel avec les proches, et l’enveloppe sensorielle historique, correspondant à la culture. A ces deux enveloppes, Louis Espinassous ajoute une troisième à laquelle il donne le nom d’« enveloppe sensorimotrice environnementale ».

« L’enveloppe sensori-motrice environnementale est l’ensemble des êtres vivants, objets et éléments, naturels et artificiels, accessibles à notre corps physique et à nos sens. Elle comprend la nature, les ouvrages et les objets créés par l’homme…
Dans cette enveloppe la part des artefacts3 est insuffisante à notre développement, notre santé, notre bien-être, notre plein épanouissement ;… ceux-ci nécessitent une part, variable certes selon les individus, mais une part importante de nature, de “ce que nous n’avons pas fait“… » (p.46)

A travers cette notion d’une troisième enveloppe sensori-motrice, Louis Espinassous rejoint sans le savoir ce que le psychiatre et psychanalyste Harold Searles avait développé en 1960, dans son ouvrage L’environnement non humain : la psyché se construit à travers les relations vécues avec les proches et avec la société, mais également avec les éléments non humains, vivants et inanimés. Ainsi, à partir de sa seule expérience et du soutien de lectures ciblées, l’insatiable marcheur trace une voie proche de celle d’un chercheur qui, selon nous, est incontournable lorsque l’on veut comprendre la relation homme-nature dans sa dimension psychique.

Après avoir nommé la troisième enveloppe, Louis Espinassous en dépeint les aspects multiples et féconds en termes de vie psychocorporelle :

« Dehors, dans la nature, tout l’être psychocorporel – corps, sens, émotion, connaissances – est en actions inter-reliées, dans un apprentissage permanent, quel que soit l’âge. » (p.47)

La nature nous apprend, dans un corps à corps incessant. Elle développe notre compréhension du monde et de ses lois ; elle active notre imaginaire tout en nous aidant à recoller au réel ; elle nous invite à élargir nos perspectives, à reconnaître l’autre différent. Elle répond à notre besoin fondamental qui est double : besoin d’altérité et besoin d’appartenance. En somme, elle participe pleinement à notre formation, à notre croissance, à notre grandir en humanité.

Nous sommes frappés de constater combien, en passant en revue ces effets décisifs joués par l’environnement dans l’élaboration de l’identité personnelle et le développement des qualités propres à chacun, l’auteur se fait l’écho des observations notées par Harold Searles. Sans utiliser le terme, il rentre dans les subtilités du sentiment fondamental d’« apparentement », décrit par le psychanalyste. Pour nous construire, pour exister en tant qu’êtres humains, notre besoin est double en effet : altérité et appartenance tout à la fois.

Par « apparentement », écrit Searles, « j’entends, d’une part, la perception d’une parenté intime… avec tant d’éléments non humains… Mais d’autre part et simultanément, ce sentiment d’apparentement comporte le maintien de la conscience de son individualité en tant qu’être humain et de l’impossibilité de se fondre dans le monde non humain, si étroitement que l’on soit lié à lui et à tant de niveaux3. »

« Je ne peux me sentir pleinement homme, écrit Espinassous, appartenant à cette humanité solidaire, que si je rencontre de l’autre humain, différent et semblable… De même, nous avons besoin de l’autre non-humain – animal, végétal, ruisseau, montagnes et cosmos – que nous n’avons pas fait, qui n’est pas nous, pour nous sentir à notre juste place, pour nous sentir pleinement nous-mêmes, à la fois autres, radicalement humains, différents, et appartenant aussi à l’animal, au vivant et au cosmos. » (p.72)

 L’ouvrage Besoin de Nature laisse également apparaître un lien avec les intuitions de Paul Shepard, notamment dans le chapitre intitulé « tout notre être psychocorporel ».
Selon le biologiste américain, notre organisme a été façonné par notre passé lointain, de l’apparition des ancêtres primates jusqu’aux chasseurs-cueilleurs. Même si nous ne voulons rien en savoir, nous conservons les caractéristiques de nos ancêtres. En conséquence, un environnement naturel nous est nécessaire pour permette l’épanouissement de ces qualités fondamentales, physiologiques et psychologiques, liées à notre constitution génétique. Sinon, nous dégénérons…
En termes moins extrêmes, Louis Espinassous pose le besoin de nature comme faisant partie intégrante de notre être psychocorporel. Seule la puissance d’un « dehors » non artificiel nous permet de le faire vivre pleinement, à travers nos muscles, notre ossature, nos cinq sens, en stimulant nos qualités de courage et de volonté, nos capacités imaginaires, créatrices, contemplatives…

« Le dehors, non artificialisé à outrance, et la nature se révèlent être des lieux par excellence pour développer, exercer, exprimer et faire fonctionner toute notre “machine” corporelle, sensorielle, intellectuelle, émotionnelle, tout notre être psychocorporel. » (p.51)

 Le besoin de nature étant établi, Louis Espinassous interpelle le politique : l’accès à la nature, « au maximum de naturalité » en tous lieux – ville, hôpital, école, prison…, sorties « en plein air », possibilités d’immersion dans des espaces naturels… – est un défi à relever par toute la société. Il en va du bien-être de chacun.

 





[1]
Citation p.74. Jean Jaurès, Poèmes, L’œuvre, 1921.
[2] Salamandres des Pyrénées
[3] Par « artefacts », Louis Espinassous entend les produits industriels, les objets artificiels.
[4] Harold Searles, L’environnement non humain, Gallimard, 1986, p. 108

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