Paroles d’écrivains

Suivre le poisson, suivre l’oiseau.
Si tu envies leur erre, suis-les
Jusqu’au bout. Suivre leur vol, suivre
Leur nage, jusqu’à devenir
Rien. Rien que le bleu d’où un jour
A surgi l’ardente métamorphose,
Le désir même de nage, de vol.

François Cheng, Cinq méditations sur la mort

 

Il n’y a qu’à toi que je puisse dire cela

Sous une pluie de feuilles mortes, ce matin, dans les bois, j’ai vu un écureuil. Puis un pivert, et un rouge-gorge. Au-dessus de chez moi. Ce n’est pas loin. J’y vais marcher, souvent. Un torrent. Une rivière. A l’horizon, d’autres montagnes. Ce matin, sous une pluie de feuilles mortes, debout les yeux fermés à sentir le vent sur mon visage j’étais un arbre, tu sais. Debout les yeux fermés sous une pluie de feuilles mortes j’ai senti mes racines loin dans la terre humide, et mes branches immenses. J’ai senti le vent dans mes feuilles. Le rouge-gorge. Ce matin j’étais un arbre. Il n’y a qu’à toi que je puisse dire cela. Parce que je suis un homme, et que j’ai besoin de dire les choses, parfois. De dire le vent dans les branches, l’écureuil qui se cache, la buse qui me frôle. La violette. Parfois aussi je suis la violette dans le sous-bois. Parfois les feuilles mortes dans le vent d’automne sont mieux que les mots. Silence, mon ami, tu le sais. Parfois je suis écureuil, et je n’ai rien à dire. Ce matin j’étais un arbre et maintenant de nouveau je suis un homme et j’ai besoin de dire des choses. C’est comme ça. Silence, mon ami, tu le sais. Parfois je suis vaste comme les montagnes, les océans, et parfois je suis poisson. Je ne peux pas le dire aux autres hommes. Ils me prendraient pour un fou. Pourtant je veux le dire, silence, mon ami, parce que je suis un homme, et, que, parfois, j’ai besoin de dire les choses. Je veux dire que je suis l’herbe, et la violette, et la mousse des sous-bois. Ils ne me croient pas. Et demain, lorsque je renaîtrai, chenille ou tortue, ils ne me verront pas.

Cécile Beauvoir, Pieds Nus dans le Jardin, Ed. Le temps qu’il fait, 2007

 

 

« … Le printemps travaillait la terre, des touffes de primevère s’étalaient contre les talus. L’odeur amère de paille humide tiédissait par-dessus l’odeur froide de la terre qui dégèle. Je montais au-dessus du village, à travers les haies, les près jaunis, rencontrant une femme et deux vaches, jusqu’au bord de la grande forêt. Le premier des lacs étendait sa tache d’étain entre les bois roux ; la rivière, avant de s’y perdre, serpentait à travers le marais, entre les buissons ronds des saules. Partout le manteau des bois couvrait les collines, cachant les ours endormis et bien d’autres insaisissables présences. L’air humide, doux et frais, venait de loin, par larges souffles par-dessus les dernières croupes, les plus hautes contre l’horizon, les plus sévères avec leurs forêts bleues où transparaît la neige. Et mon cœur était mordu par tout l’inexprimé, tout ce qui m’avait échappé et pourtant me noyait de son inépuisable richesse. »

Robert Hainard, Chasse au crayon, La Baconnière, 1969

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