COLLOQUE « Eduquer à la Nature »

Jeudi 23 janvier 2014 – Le Havre
Conférence de Marie ROMANENS et Patrick GUERIN

Nous vivons à une époque cruciale de changement. La vision occidentale moderne a amené la démocratie mais sans s’être suffisamment occupé du vivre ensemble. Notre monde repose sur une pensée dualiste, sur une tendance à la séparation, voire à la domination, et sur un encouragement à l’individualisme.
L’individu, ou homo oeconomicus, se soucie de ses seuls besoins et envies, au détriment :
– des autres,
– de la nature,
– de lui-même au fond de lui (son monde intérieur).

Homo oeconomicus n’existe pas en chair et en os. C’est un mythe sur lequel se fonde notre société occidentale, depuis le développement de l’ère industrielle et le rêve d’un âge d’or grâce aux progrès. Tout cela sur fond de rationalisation dans lequel science-technique-économie sont mixées.
Cette vision du monde arrive à sa phase terminale, car la planète n’a pas les ressources suffisantes pour qu’elle puisse perdurer. Chacun de nous, sur son terrain de jeu, peut contribuer à faciliter le changement nécessaire.

Il nous faut remettre du lien.
Le lien entre la nature et les hommes est lui-même en rapport avec d’autres types de liens :
– Lien de l’homme avec ses semblables : les proches, le groupe
– Lien de l’être humain avec lui-même, avec son intimité propre.
En conséquence, aider les personnes à avoir un contact plus important avec la nature aura forcément des conséquences dans leur rapport à elles-mêmes et dans leur rapport aux autres.

Faire vivre une situation nouvelle à une personne (l’amener à être en contact avec des éléments qu’elle ne rencontre pas d’habitude) provoque des réactions en elle :
– Peurs devant l’inconnu
– Déstabilisation : car son monde (sa façon de concevoir les choses) est construit en dehors de cette réalité. La nouvelle situation lui demande de changer ses assises, les présupposés qui étaient les siens jusque-là, avec le confort qu’ils impliquaient.

Le concept d’écopsychologie

Marie.conférenceLeHavre

Aujourd’hui, pour faire face aux complexités de notre monde, il ne s’agit plus de rester enfermés dans des savoirs cloisonnés, mais de « penser global », c’est-à-dire de manière transdisciplinaire. Dans ce sens, la psychologie a besoin de s’ouvrir à la dimension écologique ; l’écologie a besoin de s’ouvrir à la dimension psychologique. Un nouveau champ est né pour répondre à ce besoin : l’écopsychologie.

La psyché se construit non seulement à partir des relations avec les autres humains mais aussi avec le monde non-humain. Dès lors, le changement écologique ne peut se faire si on ne considère pas la dimension psychologique des gens.

Pour Harold Searles, un psychanalyste qui a écrit L’environnement non humain en 1962, il est important de retrouver notre sentiment de parenté avec les éléments naturels. Non seulement cela aura des conséquences sur notre relation avec l’environnement : dans le sens d’une plus grande responsabilisation. Mais cela aura aussi des conséquences sur la maturation de la psyché, sur notre relation à nous-même et en conséquence aux autres humains.

A notre époque, en milieu urbain, l’environnement est surtout artificiel. On devient de plus en plus un « peuple hors-sol ». Or, les psychanalystes et psychothérapeutes font le constat que les pathologies mentales ont changé. Du temps de Freud, il s’agissait plutôt de pathologies de l’interdit (sexualité, manifestation des émotions). Maintenant nous avons à faire à des pathologies du vide. La perte des repères dans notre monde (famille, idéaux, religion…) y est pour beaucoup, mais aussi sûrement la perte de contact avec la Terre. A travers ces cas de pathologies mentales, c’est toute une maladie de la société qui apparait.

Nous l’avons vu, remettre les gens dans la nature risque d’avoir une incidence forte sur leur vie psychique. D’où l’importance du mode d’accompagnement.
– Le risque de déstabilisation. Notre société est une société du plein : plein d’objets, plein de sollicitations, plein de choses à faire… Pas le temps de s’arrêter. Toujours dans l’avoir, le faire, à l’extérieur de soi. Se mettre dans la nature nous sèvre de tout cela (sauf si on veut en faire un terrain de jeu !). Et nous risquons alors de nous retrouver face à un certain vide, car nous ne sommes plus habitués à vivre avec nous-mêmes, tournés vers
notre vie intérieure.
Pourtant cela peut remettre en route des processus qui n’ont pas assez été nourris :
– L’immersion dans un lieu naturel, lorsqu’elle est bien vécue, permet que se développe un sentiment de parenté avec la nature qui génère une impression de sécurité. La nature est comme une toile de fond, simple et stable, qui permet de se tenir dans la vie. On y trouve de la paix, de la beauté, ce qui fait grandir la confiance dans la vie.
– L’individuation. La nature nous aide à nous différencier.
En rencontrant un élément naturel, on apprend sur ses propres réactions : qu’est-ce que j’éprouve ? Attirance, affection, dégoût, envie de détruire ?
On apprend à développer sa curiosité, à développer ses cinq sens.
S’occuper d’une plante, d’un animal fait grandir des capacités (tendresse, attention…) et
accroit le sens des responsabilités.
Donc le contact avec la nature participe de la croissance et de la maturité de mon être.

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La relation homme nature : de la séparation à la rencontre

Patrick.conférenceLe Havre

La relation à la nature a souvent été formatée par la pensée aristotélicienne, dont les principes sont :
– L’axiome d’identité : A est A
– L’axiome de non-contradiction : A n’est pas non-A
– L’axiome du tiers exclu : A n’est pas non-A, ni non-A n’est pas A, donc il n’existe pas de troisième terme T possible dans une proposition.

Jusqu’à maintenant ce qui a prévalu, à cause de ces axiomes, c’est de marquer la séparation homme-nature.

Les relations, c’est à dire les rapports entre deux êtres vivants, peuvent être réciproques/nonréciproques, symétriques/asymétriques.
Entre deux êtres vivants doués de capacité de penser, la relation complète est faite d’une relation d’une part réciproque entre eux deux et d’autre part réflexive pour chacun.
Une relation réflexive est une relation permettant à la pensée de faire retour sur elle-même pour examiner une idée, un raisonnement, un sentiment, un vécu, une réaction à une sensation.

Comme les relations sont au démarrage de l’ordre de l’affectif – dans le sens où nous sommes affectés par ce qui se passe -, les relations homme nature sont affectives.
La relation affective Homme-Nature passe par plusieurs étapes :
1. une sensation qui est le résultat de la stimulation d’un ou plusieurs organes des sens.
2. Cette sensation est ensuite évaluée en agréable ou désagréable et de cette évaluation résulte…
3. un mouvement par rapport à ce qui est autre. C’est ce qu’on appelle avoir une émotion.
4. A partir de cette émotion et pour avoir un comportement adapté à la situation, nous allons observer ce qui a provoqué cette émotion, et en fin de compte…
5. comprendre ce qui se passe afin de…
6. vivre pleinement cette relation à l’autre et à soi-même.

Si cela ne peut se faire, les relations homme-nature peuvent prendre plusieurs déformations :
• prédation : la nature est un objet dont je profite, soit pour ma survie soit pour ma jouissance
• confusion entre l’homme et la nature : je suis la nature (cf. le romantisme)
• crainte magique faite de soumission ou d’adoration
• projection : des sentiments humains, qui peuvent être les siens ou ceux qui sont véhiculés par la société, sont attribués à la nature.

Il est important d’accompagner le participant aux groupes d’éducation à l’environnement tout au long des différentes phases du processus relationnel et de repérer si sa relation à ce qui est étudié est une relation JE/TU ou si la relation subit des déformations.
L’éducation à l’environnement prend en charge la relation de l’homme à l’environnement de façon à développer ses capacités relationnelles et sa pensée réflexive en développant la conscience que la nature est la nature, que l’homme est l’homme et que chacun à sa manière est un être vivant.
Il ne s’agit donc pas de se positionner d’une manière séparée : « Nous, les êtres humains, on va aller résoudre les problèmes environnementaux ! » Ce qu’il est nécessaire de soutenir, c’est une relation véritable Je-Tu avec la nature.

L’accompagnement en fonction de l’âge

Avec la petite enfance, le monde n’est pas encore bien différencié. Le « moi » est encore peu constitué. C’est l’époque de l’émerveillement, de la découverte jubilatoire.
Il s’agit alors de laisser l’enfant découvrir par lui-même. Juste lui offrir le cadre sécurisant qui le lui permette.
A cet âge, ce qui prédomine, c’est l’immersion. C’est cela qui va développer en lui un sentiment d’apparentement. Peu à peu, l’enfant va se sentir chez lui.
On peut aussi faire appel à l’imaginaire, par de petites histoires, de petits jeux qui vont favoriser l’empathie avec le monde de la nature.

Dans l’enfance
Au fur et à mesure des années, l’enfant va se différencier de plus en plus. Il se développe et il apprend à connaître l’autre (en l’occurrence, la nature) en tant qu’autre.
Développement de capacités : jardiner, construire des cabanes, faire du feu, cueillir des baies, des champignons… ; développement des savoirs : la reconnaissance des espèces, leurs façons de vivre ; les étoiles dans le ciel…
Il est important alors d’accompagner cet apprentissage, de donner des recettes, des explications, de rendre accessible les savoirs… mais le plus possible, en partant de l’enfant, de son intérêt, de ses questions. C’est ainsi qu’il va s’intéresser vraiment.

A l’adolescence
La différenciation est bien avancée maintenant. L’adolescent a besoin de ses pairs pour se conforter dans son identité personnelle. D’où l’importance du groupe à cet âge.
Les adolescents commencent à penser leur action dans le monde. D’où l’intérêt de l’ouverture aux questions sociétales. A cette époque, on peut aborder des dimensions plus abstraites, plus idéologiques.
Mais il est toujours important de partir des jeunes. Si un problème est posé : ne pas tout de suite donner une réponse, les faire chercher : qu’est-ce qu’ils auraient comme solution ? Ainsi, on encourage l’initiative, l’engagement personnel.

Les adultes
Il est important de savoir qu’ils peuvent être dans des positions très différentes par rapport à la nature.
Le plus difficile sera sans doute les freins qu’ils peuvent mettre au changement qu’un contact avec la nature pourrait provoquer. Alors, il est important de ne pas les bousculer outre mesure pour ne pas augmenter leurs craintes. Ecouter où ils en sont, quelles questions ils se posent, quelles sont leurs difficultés. Les échanges en groupe sont toujours intéressants car l’exemple des autres est source de compréhension pour soi-même.
Si les personnes acceptent de bouger dans leurs positions, elles risquent de traverser une phase de déstabilisation. On peut alors leur donner des repères nouveaux (villes en transition, jardins partagés, nouvelles monnaies d’échange, co-voiturage…). L’important est de montrer que tout n’est pas noir et qu’on ne va pas être réduits à pratiquer un pur ascétisme en raison des dégâts planétaires, mais qu’au contraire on peut trouver du plaisir dans ces changements parce qu’ils font sens : d’autres richesses sont prises en compte.

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