« Radical ecopsychology » chapitre 6

 
La tromperie que représente le mythe du progrès

Les « prouesses » de la technologie sont censées nous apporter le bonheur dans un futur proche. En réalité, il s’agit là d’une idéologie qui sert essentiellement les intérêts économiques.

Non seulement, la société technocratique surexploite et saccage notre planète, la biosphère devenant ainsi une « technosphère », mais elle violente aussi notre propre nature car elle nous demande de nous conformer aux exigences du système production-consommation, ou, pour le dire autrement, aux diktats du cercle vicieux « labeur-loisirs ». De nombreux problèmes psychologiques en résultent : sentiments de frustration, stress, burn-out, addictions, dépressions… Entre crise écologique et mal-être des personnes, la nature manifeste que quelque chose ne va pas bien en ce monde.

Une ère anti-culturelle

L’ère technologique qui est la nôtre a un côté ni plus ni moins « anticulturel ». Elle est à l’origine d’une mystification qui concerne nos besoins, car elle exacerbe nos envies de consommer tout en négligeant d’autres besoins beaucoup plus essentiels à notre équilibre et à notre bonheur. Elle crée en nous un état d’insatiabilité dans l’ordre de l’avoir, tout en se montrant indifférente à nos soifs les plus existentielles. En outre, elle favorise l’inflation de nos Ego, en incitant à survaloriser nos désirs de renommée, de pouvoir, de richesse… Ainsi, en créant un monde de plus en plus artificiel, elle aboutit à nous rendre vides[1]. En nous coupant à la fois de de notre nature profonde et du monde-plus-qu’humain, elle nous déracine.

« Étant donné que nous n’existons pas à l’intérieur de nos crânes mais dans nos relations avec le monde et en tant que relations au monde, est-ce que dépouiller et violer le monde naturel n’équivaut pas à dépouiller et violer notre propre esprit ? [2]»

La perte du contact avec la nature sauvage engendre un manque important en nous, elle crée une sorte d’« état d’inanition ». A ce propos, il serait intéressant de faire l’étude des comportements que nous développons pour nous adapter tant bien que mal à ce monde antinaturel (par exemple, le commerce croissant des plantes dans les jardineries) et qui sont le signe de nos carences.

Comment lutter ?

Pour lutter contre ce système technocratique et économique qui a envahi notre société, pour retrouver ce qui peut vraiment servir la vie, Andy Fisher propose ce qu’il appelle « une pratique contre »[3]. En l’occurrence, il ne s’agit nullement de revenir en arrière mais de recontacter au présent nos vrais besoins.

« Revenir en arrière signifie en réalité rentrer dedans : dans nos corps, dans la chair du monde et dans une sorte d’état d’esprit dans lequel nous sommes conscients des sollicitations faites par un monde-plus-qu’humain[4]. »

Il s’agit, au milieu des effets dispersants, voire dissociants, de la société technologique, de retrouver ce qui fait le centre de nos vies. Cette pratique demande un engagement pour rester en contact : en contact avec soi (méditation, thérapies personnelles…), avec les autres (engagements sociétaux divers), avec le monde plus-qu’humain (redonner de l’importance aux lieux).

Deux champs sont concernés par la « pratique contre » : celui du soin à porter au soi malmené et assiégé et celui du développement d’une culture responsable vis-à-vis du cycle de la vie humaine.

– Les soins à prodiguer pour nos soi en souffrance :
il est clair que le développement actuel des pratiques psychothérapiques est une tentative de réponse. Mais le problème est qu’elles laissent de côté les questions sociales, voire qu’elles favorisent le désengagement en ce domaine : on ne s’occupe plus que de soi et l’on se désintéresse de ce qui se passe dans le monde.

« Si les gens sont préoccupés par leur propre croissance et survie, je pense qu’il est honnête de dire que ceci reflète à quel point notre société se préoccupe si peu de leur croissance et de leur survie. De mon point de vue, le meilleur moyen d’encourager les individus à revenir vers la société est par conséquent d’être davantage attentif ou sensible à leur expérience personnelle[5]

Il s’agit donc de favoriser la capacité à entrer en contact avec nos corps, d’encourager la sortie du déni dans lequel nous sommes pris et, à partir de là, de reconnaître la souffrance que la société technologique engendre en chacun de nous.

– Le développement d’une culture qui s’occupe du cycle de la vie :

« Ici, le travail est davantage reconnaissable comme étant écopsychologique, car l’intention est de se rappeler de notre nature humaine dans sa plénitude, un but qui implique de développer des relations matures avec un monde-plus-qu’humain[6]. »

Dans ce cadre, Andy Fisher évoque l’éducation environnementale, qui pourrait jouer un rôle clé dans le développement de la vie de l’enfant, et l’importance des rites initiatiques chez les adolescents.

Reconnaître notre souffrance

Andy Fisher termine ce chapitre en revenant sur la nécessité de sortir de notre apathie pour reconnaître et porter notre souffrance.

« Mon regard se porte ici sur le besoin spécifique que l’attention portée à la douleur et à la souffrance devienne un principe central pour le travail écopsychologique[7]. »

Car notre souffrance est un message qui nous indique que nous avons pris un mauvais chemin et qu’il nous faut porter davantage attention à nos vrais besoins.

« La question fatidique pour notre époque n’est pas, comme le soutenait Freud, de savoir si l’instinct de vie peut gagner sur l’instinct de mort.., mais si oui ou non nous choisirons de trouver des voies collectives pour porter notre peine et notre souffrance, pour nous renforcer, de manière à ce que nous puissions arrêter de nier la vie et ainsi revenir à elle[8]. »

Haut


[1] Les psychothérapeutes et psychanalystes constatent depuis quelques années que les patients qui les consultent présentent de plus en plus des « pathologies du vide ». Ces personnes ont une vie psychique extrêmement pauvre. Elles manifestent beaucoup de difficulté à accéder à leur ressenti et à l’exprimer. Symboliser ce qui se passe en elles reste très problématique, donnant ainsi l’impression qu’elles sont vides intérieurement.
[2] Andy Fisher, Radical ecopsychology, Psychology in the service of Life, State University of New York Press, 2002, p. 172.
[3] Ibid., p. 174.
[4] Ibid., p. 175.
[5] Ibid., p. 181.
[6] Ibid., p. 185.
[7] Ibid., p. 189.
[8] Ibid., p. 190.