Edgar Morin

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Edgar Nahoum, dit Edgar Morin, sociologue et philosophe français, est né à Paris le 8 juillet 1921.

L’homme

Fils unique d’un commerçant de Salonique, il n’a que neuf ans lorsque sa mère décède. Cet évènement brutal est évidemment très marquant[1]. Heinz Weinmann qui a rassemblé nombre de textes d’Edgar Morin en parle ainsi :

Ce « décès prématuré perturbe gravement l’équilibre affectif de l’enfant et, en raison de la puissante “éco-dépendance” enfant-mère, risque, tout au moins fantasmatiquement, de l’entraîner dans la mort.
Pour survivre donc, l’enfant fait vivre imaginairement sa mère, d’autant plus facilement que son père lui a dissimulé cette mort en l’excluant de la cérémonie d’enterrement, empêchant par là son deuil. Ce déni (au sens freudien du terme) de la réalité de la mort maternelle, recours désespéré de l’enfant pour se redonner de l’espoir, ouvre d’un coup le champ imaginaire sur grand écran cosmique. “Felix mors”, “mort heureuse”, puisque toute l’œuvre d’Edgar Morin naît de cette mort et de ce déni.
L’imagination aussitôt métamorphose la mort corporelle en une naissance située ailleurs, sur une autre scène, cosmique celle-là. La mère n’est pas morte : le jour de sa mort, elle est “partie courir au ciel”…, “star” immortelle dont le scintillement subjugue le jeune Edgar qui lui voue une un véritable culte[2]

La disparition de sa mère sera donc pour Edgar Morin un « événement sphinx » en raison de l’énigme qu’il lui pose : comment vivre en même temps l’amour pour Luna et son absence. Il expérimentera alors la nécessaire « dialogique » de la vie et de la mort, d’Éros et de Thanatos, alors que la culture dominante incite à les opposer selon le principe de non contradiction.

« Ma vie s’est orientée vers ce qui devait être son travail (au sens d’accouchement) : expulser cette mort et m’en nourrir[3]. »

Edgar Morin consacrera toute son énergie à rendre intelligible ce paradoxe et à comprendre (dans le sens étymologique « prendre ensemble ») les éléments qui font la complexité de la vie, cette complexité qu’il a vécue dès l’âge de neuf ans.

Le militant

En 1938, Edgar Morin rejoint les rangs du Parti frontiste, formation de la gauche pacifiste et antifasciste. Il entre dans la Résistance communiste en 1942, au sein des « forces unies de la jeunesse patriotique ». Il prend alors le pseudonyme de Morin, qu’il gardera par la suite. En 1943, il est commandant dans les Forces françaises combattantes et sera homologué comme lieutenant. Il y rencontre notamment François Mitterrand.
Attaché d’abord à l’état-major de la 1ère Armée française en Allemagne (1945), il est nommé par la suite chef du bureau « Propagande » au Gouvernement militaire français (1946). À la Libération, il publie L’An zéro de l’Allemagne où il décrit la situation du peuple allemand de cette époque. Ce livre est apprécié, en particulier par Maurice Thorez qui l’invite à écrire dans l’hebdomadaire Les Lettres Françaises. Il rentre au Parti communiste français vis à vis duquel il prend ses distances à partir de 1949. Il en est exclu peu après en tant qu’anti-stalinien.

En 1955, il anime un comité contre la guerre d’Algérie et intègre l’Union de la Gauche Socialiste (UGS), qui participe en 1960 à la création du Parti Socialiste Unifié (PSU).

En mars 2012, il concourt à la création du Collectif Roosevelt 2012 avec Stéphane Hessel, Michel Rocard et de nombreux intellectuels et personnalités publiques de la société civile et politique. Ce collectif présentera 15 propositions pour éviter un effondrement économique, élaborer une nouvelle société, lutter contre le chômage endémique et créer une Europe démocratique.
En 2012 également, il soutient publiquement le chef Raoni dans son combat contre le barrage de Belo Monte. Il participe avec ce dernier et d’autres intellectuels, juristes et politiques, au lancement d’un Tribunal moral pour les crimes contre la nature et le futur de l’humanité. Lors de la Conférence « Rio+20 » il se demande, notamment avec le sénateur brésilien Cristovam Buarque et les juges Eva Joly et Doudou Diène, dans quelle mesure il serait possible de créer un tribunal moral mondial pour juger les crimes commis contre l’avenir de l’humanité, et en particulier les crimes contre la nature.

Le penseur

En 1942, Edgar Morin obtient une licence en histoire et géographie et une licence en droit.
En 1950, sur les conseils de Georges Friedmann, qu’il a rencontré pendant l’occupation, et appuyé par Maurice Merleau-Ponty, Vladimir Jankélévitch et Pierre George, il entre au CNRS. Il y conduit en 1965 une étude pluridisciplinaire sur une commune de Bretagne dans laquelle il séjournera près d’un an. Ce travail publié sous le nom de La Métamorphose de Plozevet (1967) fut un des premiers essais d’ethnologie dans la France contemporaine. Edgar Morin s’intéresse très vite aux pratiques culturelles qui sont encore émergentes et mal considérées par les universitaires : L’Esprit du temps (1960), La Rumeur d’Orléans (1969).
En 1956, il cofonde la revue Arguments. Il fonde également et dirige le CECMAS (Centre d’études des communications de masse), qui publie dans la revue Communications des recherches sur la télévision et la chanson.
En 1960, il part en Amérique latine enseigner les sciences sociales. En 1969, il est invité à l’Institut Salk de San Diego où il rencontre Jacques Monod, l’auteur de l’ouvrage Le Hasard et la Nécessité. Il y conçoit les fondements de la pensée complexe et ce qui deviendra sa Méthode. La parution des 6 volumes s’étalera de 1977 à 2004.

Penseur éclectique, intéressé par le monde dans lequel il vit, Edgar Morin continue à écrire sur les problèmes de société (Penser l’Europe en 1990, Le chemin de l’espérance, en collaboration avec Stéphane Hessel, en 2011) ainsi qu’à témoigner de son chemin personnel (Vidal et les siens en 1989, Edwige, l’inséparable en 2009).
Son travail exerce aujourd’hui une forte influence sur la réflexion contemporaine, notamment dans le monde méditerranéen et en Amérique latine, et jusqu’en Asie (Chine, Corée, Japon). Il a le titre de docteur honoris causa de nombreuses universités (Barcelone, Genève, Bruxelles, Porto Allegre, Rio de Janeiro, Santiago…)

Edgar Morin a créé l’APC (Association pour la pensée complexe) qu’il préside.

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L’œuvre

« Toute ma vie, je n’ai jamais pu me résigner au savoir parcellarisé, je n’ai jamais pu isoler un objet d’étude de son contexte, de ses antécédents, de son devenir. J’ai toujours aspiré à une pensée multidimensionnelle. Je n’ai jamais pu éliminer la contradiction intérieure. J’ai toujours senti que des vérités profondes, antagonistes les unes aux autres, étaient pour moi complémentaires, sans cesser d’être antagonistes. Je n’ai jamais voulu réduire de force l’incertitude et l’ambiguïté[4]. »

Edgar Morin définit sa façon de penser comme constructiviste. Le constructivisme est une approche de la connaissance reposant sur l’idée que notre représentation de la réalité est le produit de l’interaction entre l’esprit humain et celle-ci, et non le reflet exact de la réalité elle-même. Autrement dit, Edgard Morin parle de la collaboration entre notre esprit et le monde extérieur pour construire la « réalité ».

A la lecture de ses ouvrages, nous sommes impressionnés par l’importance de son œuvre et par la variété de ses champs de recherche : L’An zéro de l’Allemagne, L’Homme et la mort, Le Cinéma ou l’homme imaginaire, L’Esprit du temps, Commune en France, La métamorphose de Plodémet, La Rumeur d’Orléans, Journal de Californie, Pour une politique de civilisation, etc., sans citer les livres où il témoigne de son cheminement personnel.

Pour notre part, nous ferons seulement référence aux travaux qui sont en rapport direct avec l’écopsychologie : Le paradigme perdu : la nature humaine (Le Seuil,1973), les deux premiers tomes de la Méthode(La Nature de la nature t. 1, Le Seuil, 1977, La Vie de la vie t. 2, Le Seuil, 1980) Terre-patrie (avec la collaboration d’A.B. Kern, Le Seuil, 1993), L’an I de l’ère écologique et dialogue avec Nicolas Hulot (Tallandier, 2007).

« C’est en Californie, en 1969-1970, que des amis scientifiques de l’université de Berkeley m’ont éveillé à la conscience écologique » rapporte-t-il, avant de s’alarmer : « Trois décennies plus tard, après l’assèchement de la mer d’Aral, la pollution du lac Baïkal, les pluies acides, la catastrophe de Tchernobyl, la contamination des nappes phréatiques, le trou d’ozone dans l’Antarctique, l’ouragan Katrina à La Nouvelle-Orléans, l’urgence est plus grande que jamais[5]. »

Les concepts élaborés par Edgar Morin qui peuvent nourrir la réflexion écopsychologique sont :

La nécessité d’une pensée complexe

« Qu’est-ce que la complexité ? Au premier abord, la complexité était issue (complexus : ce qui est tissé ensemble) de constituants hétérogènes inséparablement associés : elle pose le paradoxe de l’un et du multiple. Au second abord, la complexité est effectivement le tissu d’événements, actions, interactions, rétroactions, déterminations, aléas, qui constituent notre monde phénoménal. Mais alors la complexité se présente avec les traits inquiétants du fouillis, de l’inextricable, du désordre, de l’ambiguïté, de l’incertitude[6]. »

Est complexe ce qui est interdépendant et non pas ce qui est compliqué. Le fameux nœud gordien, lui, est compliqué. Selon la légende, Alexandre le Grand devait défaire ce nœud afin de pouvoir conquérir l’Asie, mais, ne trouvant aucune des extrémités, il résolut le problème en le tranchant d’un coup d’épée. La pensée complexe, au contraire, demande de tenir compte de l’interdépendance de chacun des éléments en présence et de leurs interrelations. De façon métaphorique, la pensée dominante agit comme Alexandre le grand, en tranchant, alors que la pensée écologique pour sa part repère les différents liens et l’interdépendance entre les éléments d’un écosystème.

Mais penser la complexité n’est pas chose aisée car « la difficulté … est qu’elle doit affronter le fouillis (le jeu infini des inter-rétroactions), la solidarité des phénomènes entre eux, le brouillard, l’incertitude, la contradiction[7]. »

« Ainsi, au paradigme de disjonction/réduction/unidimensionnalisation, il faudrait substituer un paradigme de distinction/conjonction qui permet de distinguer sans disjoindre, d’associer sans identifier ou réduire[8]. »

            La complexité d’un système ou d’un éco-système trouve en partie son origine dans l’autonomie des éléments qui le composent. Ces éléments peuvent être, selon les circonstances, complémentaires, concurrents ou antagonistes comme cela peut se produire, par exemple, quand l’espace vital des indigènes et des animaux se rétrécit. Le loup est-il antagoniste, concurrent ou complémentaire de la présence de moutons ?

Le système

Un système est un ensemble d’éléments organisés en un tout dynamique en fonction d’un but et selon son environnement. L’organisation du système peut permettre l’émergence de qualités chez les éléments qui le constituent, émergences qui à leur tour agissent en retour sur les parties. Les séances de créativité, les moments euphoriques dans un groupe en sont une manifestation. La permaculture, parmi d’autres pratiques écologiques, est inspirée de cette conception systémique.

« La base de la permaculture est systémique : il s’agit de considérer les interactions entre les éléments et facteurs de l’écosystème, ainsi que sa globalité et son évolution cyclique (saisons) et durable ; et non pas uniquement d’analyser les éléments constitutifs du système individuellement, comme s’ils étaient coupés les uns des autres et statiques. Ceci mène à une compréhension des possibilités de l’écosystème dans l’optique d’une utilisation par l’homme, sans le détruire et avec des coûts minimaux.

La philosophie de la permaculture consiste à travailler avec la nature et non pas contre elle. Elle suit une éthique de base et donne des principes qui permettent une intégration harmonieuse des activités humaines au sein des écosystèmes[9]. »

Par contre, si l’organisation du système bloque les feed-back et les boucles récursives entre les éléments, ceux-ci peuvent alors ne pas donner leur pleine mesure et, dans ce cas, le système est moins que la somme de ses parties.

Edgar Morin, tout en insistant sur la dimension systémique du vivant, met en garde sur le danger de réduire celui-ci en n’en faisant qu’un système :

« Bien que l’être vivant soit système, on ne peut réduire le vivant au systémique. Réduire au système, c’est chasser l’existence et l’être. Le terme “les systèmes vivants” est une abstraction démentielle s’il fait disparaître tout le sens de la vie. Ici, je l’utiliserai, ce terme de “systèmes vivants”, mais uniquement pour évoquer l’aspect systémique du vivant, jamais pour ne voir dans le vivant qu’un système. Quelle terrifiante pauvreté de ne percevoir dans un être vivant qu’un système. Mais quelle niaiserie de ne pas y voir aussi un système. Je sais que mon attitude, si évidente qu’elle me semble, ne sera pas entendue, parce que la plupart de ceux qui me liront obéissent toujours au paradigme de simplification qui enjoint l’alternative là où il faudrait le dépassement par intégration des points de vue opposés.

Je dirais même plus : plus on dépasse le système, plus on en a besoin. C’est là où la théorie du système est de moins en moins suffisante qu’elle devient de plus en plus nécessaire.

Mon propos est de changer le regard sur toute chose, de la physique à homo. Non pas de dissoudre l’être, l’existence, la vie dans le système, mais de comprendre l’être, l’existence, la vie, avec l’aide, aussi, du système. C’est-à-dire, d’abord, mettre sur toutes choses l’accent circomplexe[10] ! »

La nécessaire ouverture des systèmes

Un système vivant ne peut être qu’un système ouvert car il y a une « relation indissoluble entre le maintien de la structure et le changement des constituants, qui débouche sur un problème clé, premier, central, évident, de l’être vivant, problème pourtant ignoré et occulté, non seulement par l’ancienne physique, mais aussi par la métaphysique occidentale/cartésienne, pour qui toutes choses vivantes sont considérées comme des entités closes, et non comme des systèmes organisant leur clôture (c’est-à-dire leur autonomie) dans et par leur ouverture. »

« Deux conséquences capitales découlent donc de l’idée de système ouvert : la première est que les lois d’organisation du vivant ne sont pas des lois d’équilibre, mais de déséquilibre, rattrapé ou compensé, de dynamisme stabilisé. La seconde conséquence est que l’intelligibilité du système doit être trouvée, non seulement dans le système lui-même, mais aussi dans sa relation avec l’environnement, et que cette relation n’est pas qu’une simple dépendance, elle est constitutive du système.

La réalité est dès lors autant dans le lien que dans la distinction entre le système ouvert et son environnement [11]. »

« L’ouverture écologique n’est pas une fenêtre sur l’environnement : l’organisation ainsi ouverte ne s’emboîte pas dans l’environnement comme la simple partie d’un tout. L’organisation active et l’environnement sont, tout en étant distincts de l’autre, l’un dans l’autre chacun à sa manière, et leurs indissociables interactions et relations mutuelles sont complémentaires, concurrentes ou antagonistes. L’environnement à la fois nourrit et menace, fait exister et détruit. L’organisation elle-même transforme, pollue, enrichit. Une boucle rétroactive phénoménale va unir l’être vivant à son éco-système, l’un produisant l’autre et réciproquement[12]. »

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Le principe dialogique

Le principe dialogique maintient la dualité au sein de l’unité en associant deux termes à la fois complémentaires et antagonistes. Il met en relation deux notions d’habitude opposées dans la pensée classique et pourtant indissociables car présentes ensemble dans la réalité (par exemple, le phénomène de la dualité onde-corpuscule). Il permet d’assembler des notions antagonistes et ainsi de pouvoir penser des processus complexes.

« Ainsi, au paradigme de disjonction/réduction/unidimensionnalisation, il faudrait substituer un paradigme de distinction/conjonction qui permet de distinguer sans disjoindre, d’associer sans identifier ou réduire[13]. »

            Dans son ouvrage, Le paradigme perdu : la nature humaine, Edgar Morin démontre que le paradigme fondateur de la pensée occidentale qui reposait sur une séparation fondamentale entre l’homme et l’animal, entre nature et culture, n’est plus soutenable. L’homme est à la fois un être de nature par son origine animale et un être de culture par son environnement social. 

« Du coup s’effondre l’ancien paradigme qui opposait nature et culture. L’évolution biologique et les évolutions culturelles sont deux aspects, deux pôles de développement interrelationnés et interférents du phénomène total de l’hominisation : l’évolution biologique, à partir d’un primate intelligent et de sa société déjà complexe, se continue en une morphogenèse techno-socio-culturelle laquelle relance et stimule une évolution biologique juvénilisante et cérébralisante [14]. »

La dialectique ordre/désordre

Tout ordre créant du désordre, il n’est pas possible d’éliminer ce dernier. Aussi la problématique de tout système est : quelle organisation pour se maintenir ? Autrement dit : comment ne pas tuer le processus du vivant par excès d’ordre ou par excès de désordre ? Boucle tétralogique3.188

   « Pour qu’il y ait organisation, il faut qu’il y ait interaction, il faut qu’il y ait des rencontres, pour qu’il y ait rencontre qu’il faut qu’il y ait désordre (agitation, turbulence).
La boucle tétralogique signifie qu’on on ne saurait isoler ou hypostasier aucun de ces termes. Chacun prend son sens dans sa relation avec les autres. Il faut les concevoir ensemble, c’est-à-dire comme termes à la fois complémentaires, concurrents et antagonistes[15]»

La folie humaine s’est souvent manifestée dans ce désir de chasser le désordre au niveau social, comme pendant l’inquisition ou, actuellement, avec la prolifération des différents intégrismes. Au niveau écologique, elle se révèle dans l’utilisation des pesticides, de la monoculture, le remembrement, etc.

Les systèmes vivants ont à gérer, par leur auto-organisation, non pas l’équilibre mais la cohabitation de l’ordre et du désordre en eux. Ce qui amène Edgar Morin à ne plus rêver du meilleur de mondes mais seulement d’un monde meilleur !

Le principe hologrammatique

La partie est dans le tout, comme le tout est dans la partie.

« L’idée de l’hologramme dépasse, et le réductionniste qui ne voit que les parties et le holisme qui ne voit que le tout. »

Le principe de récursion organisationnelle

Les individus produisent la société qui produit les individus. Nous sommes à la fois produits et producteurs. Le changement devra être sociétal mais il n’adviendra que si les individus modifient le modèle de société qu’ils ont intériorisé, que s’ils changent de vision du monde.

La relation écologique

« Les êtres éco-dépendants ont une double identité : une identité propre qui les distingue, une identité d’appartenance écologique qui les rattache à leur environnement [16]. »

« Ainsi s’impose l’idée clé : l’environnement est constitutif en permanence de tous les êtres qui s’alimentent en lui ; il coopère en permanence avec leur organisation. Ces êtres et organisations sont donc en permanence éco-dépendants.

Mais, par un paradoxe qui est le propre de la relation écologique, c’est dans cette dépendance que se tisse et se constitue l’autonomie de ces êtres.

De tels êtres ne peuvent construire et maintenir leur existence, leur autonomie, leur individualité, leur originalité que dans la relation écologique, c’est-à-dire dans et par la dépendance à l’égard de leur environnement ; d’où l’idée alpha de toute pensée écologisée : l’indépendance d’un être vivant nécessite sa dépendance à l’égard de son environnement [17]. »

L’« auto-éco-organisation »

C’est la capacité d’un système à être autonome et à interagir avec son environnement en modifiant son organisation interne (auto-organisation) et en agissant sur son environnement.

« Ce que j’appelle l’éco-organisation, c’est que tout être vivant, et notamment humain, possède à l’intérieur de lui-même l’organisation de son milieu[18]. »

Les peuples premiers, les nomades, ont en eux cette organisation de leur environnement et c’est grâce à elle qu’ils peuvent trouver de quoi vivre dans un univers dit « hostile » pour une personne dite « civilisée ». Par contre, l’homme « occidental » n’a pas la connaissance intériorisée de son milieu et c’est pourquoi son mode d’action sur l’environnement est principalement la force. Quand nous ne connaissons pas un mécanisme, nous cherchons à le forcer et, quand nous le connaissons, nous intervenons avec intelligence et délicatesse.

 

L’œuvre d’Edgar Morin nous incite à percevoir la réalité, jamais en la simplifiant, jamais en séparant, mais toujours avec la conscience que ce qui est saisi contient en lui son contraire. Ceci nous renvoie à notre responsabilité d’acteur du système Gaïa : maintenir les contradictions, les faire se confronter pour aller vers une complexité de la relation homme-nature plus riche mais aussi de ce fait plus fragile. Comme un funambule, nous devons avancer en faisant dialoguer les forces qui, si elles agissent seules, nous mettent en péril.

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[1] D’ailleurs, dans les tout premiers écrits d’Edgar Morin, on trouve L’homme et la mort dans l’histoire, Corréa, 1951.
[2]La Complexité humaine
, Textes rassemblés avec Edgar Morin et présentés par Heinz Weinmann, Flammarion,1994, p. 32
[3]Le vif du sujet, Le Seuil, collection «Points-Essais», 1982, p. 354
[4]Introduction à la pensée complexe, ESF, 1990, p. 12
[5]Wikipedia
[6]Introduction à la pensée complexe, ESF, 1990, p. 21
[7]Introduction à la pensée complexe, ESF, 1990, p. 22
[8]Introduction à la pensée complexe, ESF, 1990, p. 23
[9]wikipédia
[10]La Nature de la Nature, Seuil, 1977, p. 150-151
[11]Introduction à la pensée complexe, ESF, p. 31
[12]La nature de la nature, Seuil, 1977, p. 205
[13]Introduction à la pensée complexe, ESF, 1990, p. 23
[14]Le paradigme perdu : la nature humaine, Seuil, 1973, p. 103
[15]La nature de la nature,Seuil, 1977, p.56
[16]La nature de la nature, Seuil, 1977, p. 202
[17]La nature de la nature, Seuil, 1977, p. 203
[18]Dialogue sur la nature humaine, Boris Cyrulnik et Edgar Morin, 2010