Motivation de Marie Romanens

Pourquoi je m’intéresse à l’écopsychologie ?

En 2004, lors d’une intervention dans le cadre de la rencontre « Ecologie et Spiritualité » à Karma Ling (près de Chambéry), les responsables de ces journées m’ont présentée comme une « écopsychologue ». Ce fut l’évènement déclencheur qui m’incita à approfondir ce qu’était l’écopsychologie.

Pour le dire d’une façon succincte, si j’ai choisi, en fin de parcours professionnel, de m’intéresser à l’écopsychologie et de contribuer à la recherche en ce domaine, c’est parce qu’il est grand temps de se préoccuper de la relation Homme-Nature, étant donné les dangers qui nous menacent.

Un sentiment d’appartenance à la Terre

Ma sensibilité écologique s’enracine dans mes premières expériences d’enfant. Le contact avec les pins, le vent, la rocaille… lors de mes vacances en Ardèche, ou avec la neige, les pics, les prairies fleuries… tout au long de l’année dans les Alpes, m’a apporté un réel soutien alors que je vivais dans un contexte familial difficile. Mes séjours auprès d’une grand-tante qui m’initia très tôt à la vie rurale ont développé en moi un profond sentiment d’appartenance à la Terre. Ce sentiment fut nourri par la suite, lors de mon activité de jardinage, au cours des randonnées que je fis en montagne ou des méharées en Mauritanie, et, tout dernièrement, dans un voyage à la rencontre des ethnies du Nord-Vietnam. Comme beaucoup de voyageurs, j’ai été étonnée de constater combien les populations pauvres qui vivent en étroit contact avec leur environnement semblent tellement plus joyeuses que nous, alors même que nous vivons dans le confort et l’opulence.

L’écopsychologie s’occupe du rapport de l’homme avec son milieu qui, en Occident, s’est transformé en une domination à l’égard de la nature extérieure allant de pair avec une domination à l’égard de la nature intérieure. « Renouer avec le sauvage », en dehors de soi et en soi, voilà la nécessité dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.

La nécessité d’une pensée complexe

Après avoir approché certaines techniques de la Psychologie Humaniste (la gestalt-thérapie et surtout l’analyse bio-énergétique selon A. Lowen, disciple de W. Reich), j’ai suivi une formation en psychanalyse. Par un chemin à vrai dire un peu spécial.
Soucieuse d’une pensée qui soit largement ouverte, je me suis tournée vers un institut dont la figure inspirante me parlait particulièrement : Charles Baudouin.

Ce philosophe français (1893-1963), qui vécut une grande partie de sa vie à Genève, s’était tourné très tôt vers la psychanalyse. Ayant expérimenté à la fois la méthode freudienne et la méthode jungienne, il perçut l’intérêt que chacune des deux offrait, sur la plan pratique et sur le plan conceptuel. Penseur avant-gardiste, Charles Baudouin a donc fait le choix de rejeter ni l’une ni l’autre mais de tenter au contraire de développer une réflexion qui puisse tenir compte à la fois de la divergence de ces approches et de leur complémentarité. Autrement dit, à l’heure où les guerres de chapelle commençaient à faire rage, sa position offrait une véritable originalité.

En côtoyant ses écrits, j’ai trouvé ainsi une manière d’avancer qui ne rejette ni certaines pensées ni certaines pratiques, mais, au contraire, qui tente de les approfondir et de les mettre en dialogue afin qu’elles puissent se féconder mutuellement. Dans la réflexion qu’il avait engagée, Charles Baudouin choisissait d’accorder de l’importance aux différentes théories rencontrées sur son chemin, de n’en négliger aucune, car son but était de discerner vers quelles perspectives nouvelles leur rencontre pouvait mener. Cet effort pour tenir ensemble les différences m’apparait indispensable, car notre époque exige de nous que nous pensions de manière complexe si nous voulons relever les défis actuels.

Comme je l’ai écrit dans mon site (https://www.marieromanens.com/mon-axe-de-reflexion-pensee/), le problème de notre société, c’est qu’elle fonctionne encore, en grande partie, sur le mode binaire : bien ou mal, psyché ou esprit, corps ou âme, nature ou culture, tradition ou progrès, intérieur ou extérieur, individu ou société, libéral ou solidaire, etc. L’enjeu est de sortir de cette tendance à séparer et à cloisonner, afin d’accéder à une pensée plus « complexe » (pour reprendre le terme d’Edgar Morin), un état qui puisse tenir ensemble les opposés (pour reprendre la vision de Carl Gustav Jung). Il s’agit de sortir de l’uni-dimensionnalité pour envisager la pluralité au cœur de chaque chose.

Pour relever les défis de notre époque, il nous faut donc mesurer que tout est à prendre en compte et saisir l’importance de l’interdépendance entre les différents éléments.
Il s’agit fondamentalement de repenser notre mode d’être-au-monde, en sortant de la vision dualiste occidentale. Ce qui veut dire : cheminer désormais selon une voie transdisciplinaire, tenir ensemble le scientifique et le poétique.

L’importance du lien, notamment du lien Homme-Nature

Si la psychologie des profondeurs a eu tendance, dans ses débuts, à ne s’intéresser qu’à la sphère intrapsychique, le travail d’accompagnement des analysants ainsi que les recherches sur les relations précoces ont permis peu à peu aux praticiens de comprendre l’importance du lien dans la construction de la psyché : lien avec la mère, le père, la fratrie, la famille au sens large, lien intergénérationnel, lien aussi avec la société.
Harold Searles est allé plus loin encore, en avançant en 1960 que la relation avec l’environnement non-humain devait également être considérée. Pendant plusieurs décennies, cette pensée n’a pas été reprise par les psychanalystes ou psychothérapeutes, qui sont restés focalisés sur l’écoute de l’intrapsychique et de l’interrelationnel humain/humain. Pourtant, elle avait le mérite, à une période encore tellement marquée par l’anthropocentrisme, d’ouvrir le champ de la relation soi/autre à un univers plus large, au-delà de la sphère humaine.

Le courant de l’écopsychologie reprend cette question en considérant les éléments d’un point de vue systémique, en replaçant l’homme dans son milieu, dans sa maison « oikos », la Terre, et en essayant d’articuler les sciences de l’humain et les sciences écologiques. Ce projet m’intéresse car je le perçois essentiel pour l’avenir des humains.

Pour ma part, ma pratique de psychiatre, psychothérapeute et psychanalyste m’a permis de comprendre que ce que nous faisons à la planète, nous le faisons aussi à nous-mêmes. Notre manière de traiter notre environnement naturel est indéfectiblement liée à notre manière de nous traiter nous-mêmes et de traiter les autres.
La question pour chacun est de sortir de la tendance à se considérer comme un être séparé. Il lui est nécessaire de se relier à lui-même, à « l’inconnu » qui parle au fond de lui, à ses sensations et émotions, à ses rêves, à ses inspirations, ses intuitions et ses élans créatifs. Il lui est nécessaire de réaliser qu’il y a de l’autre en lui : les proches de la famille qui ont influencé la construction de sa psyché, les générations qui ont précédé, porteuses de problèmes qui ne sont pas sans l’avoir affecté à son insu (trans-générationnel) et les modalités de fonctionnement de la société dans laquelle il baigne. Il lui est nécessaire de comprendre son interdépendance avec les humains tout autour de lui. Il lui est nécessaire enfin de se relier au cosmos tout entier, à travers les éléments naturels dont il ne peut être radicalement coupé, quoi qu’il fasse à leur encontre.

Aujourd’hui, retrouver les liens incontournables entre notre psyché (notre nature intérieure) et notre milieu (nature extérieure) est devenu vital. Nous sommes dans la nature comme la nature est en nous. A trop l’ignorer, nous mettons en péril toute l’humanité.

Grâce à l’écopsychologie, l’effort est porté sur la compréhension de la relation Homme-Nature, c’est-à-dire sur les différentes formes que peut prendre cette relation et les conséquences qui en découlent. A partir de cette compréhension, de nouveaux choix pourront se dégager pour notre société.

Marie Romanens

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