La psychologie humaniste

Paradigme
La nature humaine croît et évolue tout au long de la vie. Elle a, en elle, des potentialités que la société occidentale étouffe.

Le courant humaniste, né aux environs de 1960, s’appuie sur une conception positive de la personne. C’est l’idée qu’il existe en chacun une dynamique naturelle, une capacité de créativité renouvelée, qui agit en vue de la réalisation de son potentiel. Chaque individu est un organisme vivant qui, sous l’effet de la poussée de vie, est appelé à épanouir pleinement ses capacités humaines. Pour les psychologues américains, le courant humaniste est considéré comme « la troisième force » qui s’oppose aux deux autres « forces » : au mécanicisme béhavioriste, issu des laboratoires universitaires, qui refusait d’inclure la conscience parce qu’elle n’est pas mesurable, et à la psychanalyse, jugée trop pessimiste, parce qu’elle est née à partir d’un modèle médical concernant la maladie mentale.

A la différence de la théorie freudienne qui oppose au « Ça », jugé trop tumultueux, l’ordre apporté par la civilisation, le courant humaniste reconnaît l’être humain comme capable dans sa nature profonde de s’auto-créer en permanence grâce à son interaction avec le monde et à ses ressources internes qui siègent dans l’inconscient. Le but de la psychologie humaniste est d’élaborer une description la plus complète possible de ce que l’on entend par vivre en tant qu’homme ou femme et de comprendre les conditions de réalisation optimum de ses potentialités.

En ce sens, elle encourage chacun à se connecter à ses sensations afin de se relier au processus interne ; elle soutient les notions de respect de la personne, de responsabilité et de liberté de ses choix ; elle appuie l’authenticité de l’expression, le besoin de développement de l’être, sa capacité à être créateur et son courage à se dépasser ; enfin, elle donne toute son importance à la relation existentielle en la considérant comme constitutive de l’être.

C’est en 1923 que Jacob Lévy Moreno, l’inventeur du psychodrame et du sociogramme, posa les prémisses de cette vision de l’être humain et de la relation psychothérapeutique.

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En 1943, Abraham Maslow1 mit au point une modélisation pyramidale de sa théorie des besoins. A la base, se trouvent les besoins physiologiques, puis apparaissent les besoins sécuritaires ; on s’élève ensuite vers les besoins d’appartenance (affectifs), puis vers les besoins d’estime, pour culminer enfin avec les besoins de réalisation personnelle. Il n’est possible de passer d’un besoin au suivant que si le précédent a été « satisfait ».

« De la même manière que les arbres ont besoin de soleil, d’eau, de nourriture, qu’ils reçoivent de l’environnement, les hommes ont besoin de recevoir de leur environnement sécurité, amour, considération. Dans les deux cas, le développement réel de l’individu peut commencer une fois qu’ont été satisfaits les besoins élémentaires de l’espèce. A ce moment-là, chaque arbre et chaque personne commence son développement selon son propre style, unique, utilisant les énergies nécessaires à la réalisation de ses visées individuelles. A partir de ce moment-là, on peut dire que le développement est davantage déterminé de l’intérieur que de l’extérieur. » 2

Les besoins de survie, de sécurité, de relations d’amour et de considération passent tous par une dépendance envers les autres personnes. Lorsqu’ils sont satisfaits, le sujet peut se consacrer à la dernière catégorie de ses besoins : réaliser son potentiel. Devenu autonome, il se détermine en fonction de motifs intérieurs, c’est-à-dire des lois de sa propre nature : talents, ressources latentes, vocation.

abraham-maslow  En 1954, Abraham Maslow constitua un fichier de 150 noms de collègues psychologues qui se reconnaissaient dans la « troisième force ». En 1961, ces praticiens créèrent ensemble l’American Association for Humanistic Psychology dont les principaux chefs de file ont été : Gordon Allport, Paul Tillich, Victor Frankl et surtout Carl Rogers3, qui a créé en 1954 l’Approche Centrée sur la Personne, connue aussi sous le terme d’« approche non directive ». Cette méthode repose sur une théorie du Soi à la fois humaniste et phénoménologique. S’appuyant sur l’idée que le potentiel d’un être peut à nouveau se développer s’il n’est plus étouffé par les jugements intériorisés, elle insiste sur la qualité des interactions entre le thérapeute (ou le soignant) et son interlocuteur.

« Même si je suis conscient de l’incroyable taux de destruction, de cruauté, et de comportements malveillants dans notre monde, depuis les guerres insensées jusqu’aux agressions dans la rue, je pense que l’homme n’est pas démoniaque de nature. Dans un climat psychologique qui permet des choix et un développement, je n’ai jamais connu un individu qui a choisi la cruauté ou un cheminement destructeur. Le choix se fait toujours vers une plus grande socialisation et vers l’amélioration des contacts avec autrui.

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Ainsi, mon expérience m’a amené à croire que ce sont les influences culturelles qui sont les principaux facteurs de comportements démoniaques… Je vois les membres de l’espèce humaine comme les membres des autres espèces comme essentiellement constructifs dans leur nature fondamentale, mais endommagés par leurs expériences. » Carl Rogers

Si ce courant humaniste est loin d’être homogène, on peut citer néanmoins certaines caractéristiques communes :

 – utilisation fréquente de techniques de groupe ;
      – accent mis sur l’expérience présente (l’ici et maintenant) ;
      – place importante accordée au corps comme média du vécu intérieur ;
      – suppression ou atténuation de la dichotomie entre maladie et santé ;
      – objectifs de développement, de croissance, d’épanouissement personnel ;
      – importance de l’expression émotionnelle et de la communication non-verbale.

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Le mouvement du potentiel humain, courant dominant de la psychologie humaniste, repose sur l’idée que les ressources de l’individu sont étouffées. Il s’agit donc de favoriser l’élargissement de sa perception, de sa conscience corporelle, et sa communication avec autrui, à travers des techniques de développement qui visent moins à guérir une maladie qu’à libérer et épanouir ses potentialités, réprimées par l’environnement, en particulier par les normes sociales.

Ce mouvement s’est constitué dans le centre californien d’Esalen, à Big Sur, le long de la côte pacifique, sur des terres qui appartenaient autrefois à une tribu d’Indiens, les « Esselen ». L’institut a été fondé en 1962 par Michael Murphy et Richard Price en tant que centre de formation alternatif voué à l’exploration de ce que l’écrivain britannique Aldous Huxley appelait le « potentiel humain ».
Dans cet endroit, devenu mythique, se retrouvaient Frederic Perls (créateur de la Gestalt-thérapie), William Schutz (un des initiateurs de la thérapie de groupe et l’inventeur du Training autogène), Ida Rolf (Intégration structurale ou rolfing), Stanislav Grof (Psychologie transpersonnelle), Moshe Feldenkrais (créateur de la méthode Feldenkrais)… On y pratiquait des techniques très diverses toujours dans un but expérientiel (psychothérapies de groupe, massages, techniques de méditation…) et des centaines de psychologues, philosophes, artistes, scientifiques, maîtres spirituels s’y sont retrouvés pour contribuer à la recherche.

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La Gestalt-thérapie, pour citer une de ces approches, est une thérapie fondée par Frederic Perls, qui est sous-tendue par une vision globale de l’être humain : il s’agit d’être en contact avec ses ressentis et besoins afin de vivre en harmonie avec soi et son milieu. « La gestalt a une grande confiance dans la sagesse biologique de notre organisme et admet que l’organisme et son environnement forment une inséparable unité 4. »

Toute la psychologie humaniste repose ainsi sur cette notion de mouvement de vie qui pousse à la réalisation d’un potentiel unique en chacun : Jacob Lévy Moreno parle d’« élan vital » ; Wilhelm Reich (végéto-thérapie) de « flux organique » ; Alexander Lowen (Analyse bio-énergétique) d’« énergie vitale du corps » ; Frederic Perls de « suivre son processus »…

En raison du regard qu’elle tourne vers la source de vitalité dans l’être, la psychologie humaniste entre en contact avec d’autres disciplines, qui a priori sont étrangères à la psychologie : les nouvelles sciences (astrophysique, physique quantique, biologie moléculaire, neurosciences…), les médecines alternatives holistiques, les approches artistiques, toutes les techniques de mieux-être et aussi… l’écologie. Pour un auteur comme Andy Fisher, par exemple, la confiance en la « sagesse biologique de notre organisme » rencontre à ce niveau la recherche d’une relation plus équilibrée avec la nature. Intérieur et extérieur se rejoignent, les fractures au cœur de notre psyché apparaissant comme le pendant des fractures entre les êtres humains et leur environnement.

On comprend que le mouvement du potentiel humain ait joué un rôle important dans l’émergence de l’écopsychologie car à la différence du courant psychanalytique de cette époque, il appréhendait l’être humain dans son rapport avec son environnement sociétal. Alors que la psychanalyse s’efforçait surtout de comprendre les mécanismes intrapsychiques pour expliquer la souffrance et les troubles mentaux de certaines personnes (mais des chercheurs comme Sandor Ferenczi ou Erich Fromm allaient déjà plus loin), le mouvement du potentiel humain, quant à lui, accordait d’emblée de l’importance à ce qui peut entraver ou, au contraire, favoriser le développement de l’être.

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1 voir le site http://www.maieusthesie.com/nouveautes/article/maslow.htm qui expose clairement la pensée de A. Maslow.
2 Abraham Maslow, Vers une psychologie de l’être, Fayard, 1972.
3 Carl Rogers, Le développement de la personne, InterEditions, 2005.
4 Elan Shapiro, « Restoring Habitats, Communities, and Souls », dans
Ecopsychology : Restoring the Earth, Healing the Mind.

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